19 avril 2010

Libres commentaires après la vertu


Se taire, c'est vivre en pèlerinage.
Anselm Grün
 La nature des vertus 
d’après Alasdair MacIntyre


Pour MacIntyre revenir à la nature des vertus, c’est revenir à l’ordre moral des choses. Ici, il n’est pas question de régression dans un passé plus ou moins lointain. C’est l’actualité même d’une philosophie de l’histoire qui s’évertue à parler et à penser en cette utopique époque d’après la vertu, le concept même et sa pertinence urgente pour le temps de détresse  en lequel on se tient debout.
            Ce qui est déplorable, c’est cet excès de conception incompatibles des vertus pour que le concept de vertu trouve son authentique unité. Le malheur, c’est de tomber dans le piège de l’idéalisme, car le meilleur des mondes n’est plus avenir et la civilisation épargnée est une utopie.
            Mais, par-dessus tout, MacIntyre fait un parcours généalogique de la vertu à commencer par Aristote qui fut un grand théoricien de la vertu dans son Éthique à Nicomaque jusqu'à Shaftesbury, Franklin et Gilbert Ryle. MacIntyre situe le lecteur dans une tripatition de la conception de la vertu. D’abord, une vertu comme qualité qui permet de tenir son rôle social; une vertu comme qualité permettant la progression dans l’accomplissement du telos humain, naturel ou surnaturel; enfin une vertu comme qualité dont l’utilité est de mener au succès terrestre et céleste.
MacIntyre va présenter son argument de telle sorte que l’altérité des diverses théories des vertus pose le problème du "relativisme éthique" au niveau de la vertu, car il n’existe plus de conception centrale des vertus qui puisse exiger l’allégeance universelle. Lorsque je parlais d’idéalisme, c’est de cette idée « de pouvoir extraire de ces théories rivales, un concept unitaire des vertus dont l’exposé serait plus convaincant que les précédents? »
Bien que l’on puisse comprendre le concept de vertu de manière plurielle chez Homère, Aristote, Thomas d’Aquin ou Franklin, il n’en demeure pas moins qu’il est soumis à trois stades selon l’auteur qui rappelle, de manière au moins lointaine, Kierkegaard. Le stade pratique, un stade narratif de la vie humaine et enfin le stade des référents à la tradition, car on vient toujours de quelque part.
Il est a noter que l’Auteur se défend bien d’utiliser le vocable de « pratique » dans le sensus communis mais autrement. Dans la perspective, « de la forme cohérente et complexe de l’activité humaine coopérative socialement établie par laquelle les biens internes à cette activité sont réalisés en tentant d’obéir aux normes d’excellences appropriées (…) » (p.183).
Pour l’Auteur, la pratique suppose des normes d’excellence et d’obéissance à des règles. Mais ces pratiques ne viennent pas de nulle part, elles ont un provenance historique qui est devenue la tradition de la philosophie. Même s’il dit que « les normes ne sont pas à l’abri de toute critique » (p.185), il n’en demeure pas moins pour lui qu’il y a nécessité d’une « autorité des meilleurs normes établies ». Ce qui nous indique bien les orientations fondamentales c’est-à-dire, l’obédience comunautarienne du présent auteur. Pour ne pas dire que ça ressemblent à un conservatisme philosophique. Car dans ce livre, qui part de thèses posées, par exemples biens internes et biens externes posés à la conscience donnée d’un sujet supposément libre, fait penser par certains côtés à un vieux livre de casuistique et il ne date que de 1981. Cherchant le milieu du fleuve dans une vaste étendue asséchée, comme un mirage dans le désert de béton qu’est la mégapole moderne, sans points de repères ni normes aucunes pour orienter notre agir. On y trouve là seulement la conscience du sujet sécularisé abandonné à lui-même et désenchanté des vertus d’une philosophie morale qui semble se perdre elle-même. Malgré tout, la position de MacIntyre perdure tant qu’il y a du vivant agissant, il y a de l’impensée dans son agir.
Une définition de la vertu apparaît donc comme « une qualité humaine acquise dont la possession et l’exercice tendent à permettre l’accomplissement des biens internes aux pratiques et dont le manque rend impossible cet accomplissement » (p.186). Une conception communautarienne de la vertu systématise et pare à toute incursion libérale qui mettrait le bien individuel au dessus du bien commun et universel. Car L’universalité est essentielle pour MacIntyre puisqu’elle est visée dans la recherche du bien interne. Mais elle est aussi dangereuse lorsqu’elle penche du côté d’un pluralisme qui renvoie à des réalités individuelles incompatibles ou incommensurables. Il n’y a ni lieu ni valeur qui permette de définir ce que pourrait être un bien commun.
Par exemple, le courage est une vertu parce que en lui l’intérêt envers autrui, les communautés les causes pose comme condition l’existence de cette vertu. Car qu’est-il, ce fameux courage sinon la capacité à prendre des risques quand l’existence appelle une décision ou une autre en situation périlleuse?
Tant que nous reconnaissons les composantes nécessaires à toute pratique, tant que nous partageons les normes et les buts caractériastiques de ces pratiques. Il est possible de définir le rapport à l’autre reconnu ou pas selon les normes qui implicitement, font encore autorité dans notre société a tendance a-morale et nihiliste.
Pour revenir au concept de pratique tel que compris par le philosophe anglais, il affirme qu’elle n’est pas « un simple ensemble de savoirs techniques ». Pour lui, elle est bien davantage transformation et enrichissement de la conception des biens et des fins par le biais d’une extension des savoirs humains et par l’intérêt pour les biens internes qui définissent en partie - note-t-il – une pratique particulère.
Et c’est la tradition, telle que mentionnée plus haut, qui oriente la pratique sur le chemin des vertus. Comment comprendre la moralité de notre agir sans référents historiques? C’est une question qui résonne tout au long du présent chapitre et qui a été posée comme condition d’une éthique Après la vertu. Donc, l’historicité du sujet narratif, le dispose à une attitude vertueuse vis-à-vis son prochain, la société, la politique, encore ici il y a relent d’idéalisme.
Dès lors pouvons-nous dire que MacIntyre reconnaît le statut d’ébauche de sa tentative de repenser la vertu après la vertu, c’est-à-dire au temps de détresse morale et psychologique du sujet contemporain. Il confesse son allégeance à Aristote tout en étant conscient du conflit tragique qui guette chaque sujet malgré des intentions les plus vertueuses.
En dernière instance, ajoutons que pour MacIntyre l’idée de bien interne situe de manière exemplaire la tradition téléologique aristotélicienne en laquelle il se situe. Il termine son chapitre en interrogeant dans le sens d’Aristote : «est-il rationnellement justifiable de concevoir chaque vie humaine comme une unité, afin de tenter de définir chaque vie comme dotée de son bien et afin de voir la fonction des vertus comme étant de permettre à un individu de faire de sa vie un type d’unité plutôt qu’un autre? » (p.197)
Cela dit, si MacIntyre comprenait la vie humaine davantage comme unité plurielle, il nous semble qu’il aurait plus de chances de structurer plus solidement sa théorie naturelle des vertus; qui bien que d’orientation universaliste semble prise dans un faux point de départ inclusif qui empêche certain dévoilement dans l’environnement éthique du sujet.
A la différence de MacIntyre, et dans une perspective peut être plus française, je préférerais comprendre la loi dans sa fonction spéculative, comme détermination de structures-en-mouvement qui se montrent et s’affirment comme médiatrice des différences. Médiatrices au sens propre du terme : c’est par elle (la loi) que les différences sont instituées et reconnues comme différences i.e comme altérités d’esprit constitutives de toute identité de soi à soi et de soi à l’autre. Malgré son optimisme MacIntyre est lucide, L’État moderne n’est pas légitime, il est simplement légal, et la tradition des « vertus » dont notre auteur retrace la longue histoire, n’a pas plus sa place dans l’ordre politique moderne, pas plus qu’elle ne subsiste chez l’individu, cette figure de l’homme moderne.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Théopoésie ou Dichtung à propos d'un livre récent de Peter Sloterdijk

  A quoi sert la religion ? D’où vient notre besoin de textes religieux ? Dans un essai exigeant, le philosophe allemand explore les rouages...