Aujourd'hui le péril de notre temps nous guette plus que jamais, il apparait en ce « retrait du dieu » dans la culture, qui laisse émerger
l’expérience du rien générée indirectement par la technique et les
phénomènes culturels passés qui ont donné une nouvelle orientation à la
société québécoise; cette sorte d'inculture généralisée où "on ne lit plus".
Et,
secondement, il y a le dilemme de l’agir, conséquent au désenchantement
du monde et à la déchéance des normes morales, des valeurs communément
admises de manière universelle – jusqu'à une sorte de réenchantement
issu d’une certaine nostalgie du divin ou d’un au-delà du Nom divin.
Cette
double contrainte est issue des avancées techniciennes; c’est-à-dire que
l’âge des techno-sciences génère l’incertitude dans la conscience du
sujet postmoderne : un clivage émerge; « une leucémie de l’espèce »
(René Char) se manifeste. Cette incertitude ronge le sujet au point où
il devient une espèce esseulée, renvoyée à sa propre intériorité. Mais
tragiquement, le sujet se sent perdu ou pendu dans l’intériorité, il ne
sait plus à qui ou à quoi se vouer.
Ce
temps où advient l’événement de la confrontation avec l’esprit du
temps est nihiliste : il n’y a rien à glorifier mais plus à damner, à
incriminer. Les choses sont de plus en plus risibles. Tout est risible
quand on pense au rien et à la mort, au tragique de la vie. On parcourt
la vie, impressionné et désenchanté, on traverse l’arène du rien, blasé
par une mauvaise « mise en scène ».
En
ce temps-ci, tout est interchangeable : l’effet de mode est fidèle à
sa nomination, il est éphémère. De là, on peut comprendre la
détermination du nihilisme en pareille époque comme manque de
conscience et apogée de l’éthique dont l’éclatement multiple ne vise
aucune unité-disparité, en raison de la pluralité de ses fondements
mythologiques mêmes.
Ce
sont les nouveaux « maîtres du monde » scrupuleusement inconscients
qui ont engendré ce temps de détresse immémoriale, c’est le temps des
barbares parés de leur fausse modestie et de la bassesse de leur
indigence, de leurs exigences de performativité, de leur pointillisme
acéré de leur soumission à l’académisme. Cela est de mauvais augure –
qu’en ce temps anti-philosophique et haïssable à l’extrême –, d’entendre
le glas de la fin de la philosophie humaniste i.e. du respect du sujet
en détresse de par sa maladie. Il y a déjà un moment que la donne
conceptuelle est passée et que l’errance du sujet a commencée.
Peut-on
méconnaître la médiocrité des siècles nihilistes ? Au point où la
détresse serait notre geôle existentielle, en territoire intérieur
conquis par la peur de la mort, la bêtise et la fatuité qui sont devenus
des lieux communs de notre vie quotidienne. En ce sens, même l’État
est une institution vouée à l’échec, et la civilisation technicienne,
un phénomène condamné sans relâche à l’infamie et à la débilité. La vie
est désespoir sur lequel les philosophies s’appuient et qui ne permet
pas d’échapper à l’indigence de notre temps : la barbarie intérieure.
L’homme
est devenu une technique de l’humain, l’homme contemporain est
apathique, nihiliste dans son indifférence même à la vie, à l’essentiel
de l’existence, au questionnement provoqué par l’intériorité.
Dans
le processus de la nature et de l’histoire, l’homme de la civilisation
technicienne vise un avenir mégalomane en raison de ce à quoi il se
réfère inconsciemment : son ambition économique et matérialiste sans
limites.
Ce
qui permet de percevoir la récurrence du pathos en pareil contexte,
c’est que l’heuristique du nihilisme a cela de bon qu’elle nous apprends
que le fiasco – comme la maladie ou la médiocrité – ne sont pas des
destins : ce sont des conditions mêmes de l’existence périlleuse.
Le domaine de l'éthique, qui met en jeu les dimensions radicales de l'origine et de l'accomplissement (de la naissance et de la mort), suppose un sujet qui trouve dans l'expérience de la relation, le fondement de sa propre identité - ce qui le fait tenir et se tenir en lui-même comme liberté (son auto-stance). Mais que faire de ces troubles de l’esprit qui scandent le malaise identitaire de Paul Celan? Est-il question ici d’une généalogie des conséquences du nihilisme. Ou simplement de l’analyse d’une maladie liée à l’émergence de l’individualisme contemporain médiatisé par la civilisation technicienne ?
Si les concepts décisifs d’une conception linéaire de l’histoire que représentent l’archê et le telos dans la réflexion sur l’identité symbolisent, sous la signification du fait d’être-jeté-au-monde et au monde vers la mort, le court laps de temps qui nous est échue pour « habiter poétiquement le monde ». Ne devons-nous pas comprendre que la relation consiste en un certain transit. Dans cette perspective, l’on se trouvera inévitablement à questionner en direction de cette manière d’être poétiquement au monde, car « c’est en poète qu’habite l’homme » résonne au lointain du XIXe siècle la parole poétique de Hölderlin. Cette parole retentit jusque dans la poétique de la détresse de Paul Celan.
En raison de la langue dirait-on avec naïveté, alors que c’est surtout d’une connaturalité de la spiritualité du deuil, qui est peut-être inconsciente – cela reste à déterminer au lieu de notre origine psychique, c’est-à-dire au lieu de la Parole qui est aussi bien remémoration, que piété douloureuse du souvenir. Paul Celan fera de cette mémoire un symptôme dès l’âge de vingt-et-un an, lorsqu’il revint chez lui pour trouver un lieu familial vide où règne l’absence des disparus, ses propres parents enlevés par la Gestapo.
Celan fut un homme au sentiment tragique de l’existence, un homme du XXe siècle, au vécu inscrit au but ultime. Survivre au souvenir des morts, entre fulgurance poétique de l’affect et libido de wundegelesenes (lecture-blessure des événements qui produisent une écriture-blessure) dans le poème comme projet d’existence où plus justement, questionnant le rôle du poète en temps de détresse, Celan en devient l’archétype.
C’est à cette piété de la pensée comme mémorial de l’abomination de l’inimaginable que Celan va produire cette écriture-blessure que nous nous proposons de questionner par une herméneutique de l’autostance et de la relation du sujet à la mémoire, concepts importants au sein de l’interprétation de ce type de discours.
C'est à l'intérieur d'une stratégie d’altérité — qui prend en compte les affects de cette écriture-blessure comme médiations de la mélancolie — que sera vérifiée la substance d’un style de pensée, d’un « penser poétique » que nous articulons autour des catégories éthiques d’autostance et de relation.
Quels sont les a prioris philosophiques de cette « poétique de la détresse »? La question qui se pose ici est imminente, car elle suppose des concepts. Les affects apparaissant comme conséquences de la reconnaissance d’une détresse ou d’un désastre? Devrait-on questionner la représentation de l’émotion, ou la perception de l’affect ou le rapport à cet Autre du désir qui révèle que soi-même est un Autre ? Tant de questions qui ne trouveront voie de résolution que dans une méditation de chacune des parts d’altérité qu’il nous faut envisager pour accéder à la raison poétique de cette écriture.
Ce ne serait qu’à partir de cette convergence ou connaturalité du désir et de la sublimation de la pulsion comme métaphore, que l’éthique, en tant que processus critique d’analyse de l’agir, s’intéresserait à la parole poétique dans toute son ampleur. Une éthique de la détresse portant respect à l’autre en tant qu’autre et à soi-même en retour. Cela en raison de l’altérité de l’Autre présente au cœur de l’identité d’un Paul Celan meurtri par cet Autre qui le mène vers un désir de mort, médiatisé par l’écriture-blessure de l’événement qui advient à soi-même comme à un autre, puisque cela est impensable, insoupçonné. Un impensable imminent qui contraint de plus en plus Celan à son propre destin.
C’est donc, en tant que stratégie morale et psychique que l’éthique se dévoilera comme transit : passage et demeure. Cette stratégie discursive se présente telle une dialectique des structures en mouvement de la réflexion pratiquée sur la parole poétique qui — chez Celan — devient l’archétype du dilemme moral posé par le jeu central entre signifiant et signifié sous la diction d’une poétique de la détresse.
Pour aller plus loin dans ce chemin de pensée Voir Pierre-Jean Labarrière, Au fondement de l'éthique : Autostance et relation, Kimé, 2004, en particulier sur ces thèmes pp. 45-71.
S’il y a une pertinence à présenter la problématique de la tragédie à notre époque, c'est du côté de la critique que s’inscrit pareille approche de l'éthique des vertus. Effectivement, il semble que la tragédie peut être clairement perçue comme une critique acerbe de l’idée de vertu dans le mesure où celle-ci serait sursumée par l’événement tragique. Elle ferait qu’en fin de compte, la vertu ne résiste pas à la fulgurence de la tragédie.
Je crois que la problématique, montre en elle-même que la tragédie dépeint d’une manière radicale une situation morale qui pose en soi un dilemme : « comment un personnage admirable peut-il poser des actions qui l’orientent vers le mal et la destruction de soi ? »
Ce que j’affirme d’entrée de jeu, c’est l’impopularité de la question éthique soulevée par la tragédie. Cela semble constituer une région incertaine et inquiétante, pour plusieurs philosophes. Proposer une méditation sur la tragédie aussi bien moderne qu’ancienne, c'est questionner la pertinence de la tragédie littéraire pour la réflexion éthique. Montrer comment la tragédie a été perçue comme un problème pour la pensée éthique, mais aussi comment la tragédie peut être un catalyseur pour l’éthique en tant que telle.
Il importe donc de noter que deux aspects caractérisent la littérature tragique : premièrement, la déchéance du statut vertueux d’un personnage mené jusqu’à l’agir mauvais, et deuxièmement, la représentation des conflits définitifs entre différentes valeurs et différentes vertus.
Pour nous, le fait que les penseurs éthiques omettent de reconnaître la dimension tragique de l’expérience morale est questionnable. Et les sources de ce questionnement remontent à Platon dans sa République par le biais de ce « quarrel between the philosopher and the poet. » En cette dispute montrée par Platon, s’élève la critique littéraire de la déchéance des dieux face à l’humaine souffrance. Comme s’ils n’étaient responsables que du bien arrivé aux humains et non du mal. C’est ici encore la question de la théodicée qui est soulevée, bien que Platon essaie de l’occulter. Et c’est ce qui pose analogiquement problème au philosophe qui questionne le rapport entre tragédie et éthique. On sait la position platonicienne sur la tragédie, elle est fondée sur une croyance selon laquelle la littérature aurait une influence négative sur la moralité humaine.
Nous en appelons du jugement éclairé du philosophe Walter Kaufmann pour montrer que l’hostilité platonicienne aux poètes tragiques, implique une réaction des anciens contre l’autorité traditionnelle.
Une des raisons fondamentales de l’hositilité platonicienne, c’est l’opposition d’une nouvelle norme de vertu morale à celle d’un héros habituel de la littérature grecque. De là, la référence à la vertu socratique qui, en elle-même, trouve sa propre récompense.
En fait, une difficulté posée par la tragédie se situe aux limites du jugement éthique que chaque penseurs de l’éthique doit définir et assumer. C’est dans cette perpective, que ceux-ci perçoivent dans la tragédie une tentation insidieuse pour l’homme à évaluer le succès, le bonheur même la vie elle-même, qui selon Kaufmann est trop chèrement reliée à l’absolu et à la péremptoire demande morale.
Ce qui entre en rupture avec l’éthique dans la tragédie, c’est que cette dernière peut apparaître comme malchance morale dans une perspective destinale incontournable. Cela les penseurs de l’éthique ne peuvent pas l’accepter puisque, nous sommes des êtres de liberté. C’est pour cette raison que le jugement sur la moralité d’un acte en termes d’intentionalité de l’agent est une aporie en ce qu’elle dévoile une dimension tragique impliquée dans certains choix. Cette tendance, on la retrouve dans le déontologisme et son insistance sur la signification intrinsèque des actions morales de l’agent, dans ce type d’orientation éthique dont Kant est l’exemple.
Pourtant, la tragédie montre de manière virulente que les résultats des actes d’un agent ne peuvent en rien aider mais, au plus, influencer comment ils sont moralement évalués même si l’agent ne peut contrôler la tournure des événements.
Car la tragédie déploie des forces invisibles dans le monde et qui sont hostiles à l’humaine vertu. La vertu serait une chose bien futile dans l’univers si l’effort de l’homme d’âme profonde n’était supporté de quelques manières que ce soit. Néanmoins, confronté à la destruction du vertueux, certains penseurs on l’habitude d’isoler la volonté individuelle et de littéralement blâmer l’imputabilité de la faute individuelle, plutôt que de percevoir consciemment les sources de la tragédie dans la structure de la société et le monde en lui-même.
Nous retraçons cette tendance depuis la République de Platon et aussi dans la Poétique d’Aristote. Ce que montre la tragédie, c’est le péril de l’inévitable. Elle n’est pas à chercher ailleurs que dans ce qui échappe absolument au sujet, et non dans son étroite volonté de faire le bien ou le mal. La tragédie nous montre que les sources de la catastrophe sont effectives dans la volonté et ultimement dans les structures du monde. C’est Max Scheler, qui disait que « dans chaque tragédie originaire, nous voyons plus qu’un simple événement tragique… Le lieu du sujet tragique est toujours le monde lui-même, le monde perçu comme un tout qui rend les choses possibles ».
C’est un danger auquel s’adonnent certains penseurs, de tenter d’isoler la tragédie strictement dans la volonté individuelle. Dans ce cas, c’est occulter l’ouverture de la réflexion sur le fonctionnement des structures du monde et, en particulier, sur le fonctionnement des sociétés contemporaines génèrant le conflit à nul autre pareil sans se soicier de l’affectation au sujet.
C’est peut-être pour cette raison que l’idée d’une personne vertueuse agissant mal est paradoxale en elle-même. On voit là l’héritage chrétien qui jette de l’opacité sur la nature humaine en l’obligeant à l’angélisme auto-destructeur.
La tragédie révèle plus justement que bien que les vertus et le caractère d’un sujet sont des facteurs de la vie morale, les qualités d’un agent ne peuvent être judicieusement corrélées avec la variété des actions. Ainsi la littérature tragique, nous montre que les particularités et les qualités des individus produisent des actes des plus confus au plan moral.
Tout cela nous rappelle à juste titre, qu’il fut un temps où les philosophes n’occultaient pas la tragédie, mais l’ont authentiquement envisagée. C’est en fait, depuis Hegel et Nietsche en particulier, que certains penseurs ont interprété la vie comme une expérience tragique. Un nom comme Miguel de Unamuno, emblême du sens tragique de la vie, s’il en fut un, n’est pas d’un usage si utile pour l’investiguation de la dimension éthique des choix tragiques de la vie.
Le danger de s’en tenir à une conception tragique de l’existence au plan éthique de la décision, peut être évité que par la théorie éthique qui peut distinguer entre un situation de tragique éthique et le mouvement qui en soi affirme que la vie est tragique.
La conclusion à laquelle on en vient est que la tragédie dans la littérature et dans la société contemporaine peut aider à comprendre certains éléments de l’expérience éthique qui n’est en rien comparable à la pertinence du sens tragique de la vie ou de ce mouvement de généralisation de la nature tragique de l’existence.
Si le terme tragédie est un concept esthétique, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, il est utiliser pour qualifier le malheur ou la perte. En cela, la tragédie montre vivement la signification des circonstances agravantes de l’expérience éthique. Et c’est le dilemme moral au cœur de la tragédie qui donne à penser à l’incommensurabilité des valeurs morales. Ainsi, c’est au problème de la relativisation des valeurs que nous faisons face. Ce qui indique la différence entre pouvoir et devoir au sens du droit dans la prise de décision.
Dans la tagédie, la finitude et la culpabilité fusionnées dans l’aveuglement de l’action accompagnent l’erreur tragique. Ce qui pose un conflit des vertus ou entre la vertu et l’usage négatif de la passion humaine qu’elle soit retracée chez Macbeth ou Faust.
En quoi donc la tragédie est une critique de la vertu ? Bien dans le fait que la tragédie montre de manière virulente l’inadéquation, si je puis dire, entre la vertu et la vie heureuse, i.e. que la vertu peut aussi bien mener au malheur et à la souffrance que l’inverse visé dans son intentionnalité.
La tragédie implique donc certaines incohérences entre les notions morales et les croyances fondamentales d’un sujet. C’est pour cela aussi, quelle s’éprouve comme critique de la vertu. Elle (la tragédie) invite le lecteur à comprendre comment les meilleures qualités d’un sujet peuvent être les pires éléments destructeurs pour lui-même et pour l’autre.
Enfin, si la tragédie nous aide à imaginer le potentiel et les dangers qui sommeillent dans l’idéal de vertu, les fameux idéaux ascétiques dont parlait un Nietzsche, nous font opiner, de la même manière, à reconnaître que les croyances morales d’un sujet sont indispensables, non en raison de leur perfection dont elles orientent l’action, mais parce que, également dans l’échec, elles demeurent des ideaux ou des exigences du soi. Ainsi donc la tragédie exige une reconnaissance de la faillibilité des idéaux moraux particuliers, ce qui inévitablement engage une profonde auto-critique de soi en même temps que de valeur ultime et de la signification pour la vie humaine des formes particulières de la vertu morale.
[1]Cf. Walter Kaufmann, Tragedy and Philosophy, Princeton, NJ : PrincetonUniversity Press, 1968.
Pour MacIntyre revenir à la nature des vertus, c’est revenir à l’ordre moral des choses. Ici, il n’est pas question de régression dans un passé plus ou moins lointain. C’est l’actualité même d’une philosophie de l’histoire qui s’évertue à parler et à penser en cette utopique époque d’après la vertu, le concept même et sa pertinence urgente pour le temps de détresse en lequel on se tient debout.
Ce qui est déplorable, c’est cet excès de conception incompatibles des vertus pour que le concept de vertu trouve son authentique unité. Le malheur, c’est de tomber dans le piège de l’idéalisme, car le meilleur des mondes n’est plus avenir et la civilisation épargnée est une utopie.
Mais, par-dessus tout, MacIntyre fait un parcours généalogique de la vertu à commencer par Aristote qui fut un grand théoricien de la vertu dans son Éthique à Nicomaque jusqu'à Shaftesbury, Franklin et Gilbert Ryle. MacIntyre situe le lecteur dans une tripatition de la conception de la vertu. D’abord, une vertu comme qualité qui permet de tenir son rôle social; une vertu comme qualité permettant la progression dans l’accomplissement du telos humain, naturel ou surnaturel; enfin une vertu comme qualité dont l’utilité est de mener au succès terrestre et céleste.
MacIntyre va présenter son argument de telle sorte que l’altérité des diverses théories des vertus pose le problème du "relativisme éthique" au niveau de la vertu, car il n’existe plus de conception centrale des vertus qui puisse exiger l’allégeance universelle. Lorsque je parlais d’idéalisme, c’est de cette idée « de pouvoir extraire de ces théories rivales, un concept unitaire des vertus dont l’exposé serait plus convaincant que les précédents? »
Bien que l’on puisse comprendre le concept de vertu de manière plurielle chez Homère, Aristote, Thomas d’Aquin ou Franklin, il n’en demeure pas moins qu’il est soumis à trois stades selon l’auteur qui rappelle, de manière au moins lointaine, Kierkegaard. Le stade pratique, un stade narratif de la vie humaine et enfin le stade des référents à la tradition, car on vient toujours de quelque part.
Il est a noter que l’Auteur se défend bien d’utiliser le vocable de « pratique » dans le sensus communis mais autrement. Dans la perspective, « de la forme cohérente et complexe de l’activité humaine coopérative socialement établie par laquelle les biens internes à cette activité sont réalisés en tentant d’obéir aux normes d’excellences appropriées (…) » (p.183).
Pour l’Auteur, la pratique suppose des normes d’excellence et d’obéissance à des règles. Mais ces pratiques ne viennent pas de nulle part, elles ont un provenance historique qui est devenue la tradition de la philosophie. Même s’il dit que « les normes ne sont pas à l’abri de toute critique » (p.185), il n’en demeure pas moins pour lui qu’il y a nécessité d’une « autorité des meilleurs normes établies ». Ce qui nous indique bien les orientations fondamentales c’est-à-dire, l’obédience comunautarienne du présent auteur. Pour ne pas dire que ça ressemblent à un conservatisme philosophique. Car dans ce livre, qui part de thèses posées, par exemples biens internes et biens externes posés à la conscience donnée d’un sujet supposément libre, fait penser par certains côtés à un vieux livre de casuistique et il ne date que de 1981. Cherchant le milieu du fleuve dans une vaste étendue asséchée, comme un mirage dans le désert de béton qu’est la mégapole moderne, sans points de repères ni normes aucunes pour orienter notre agir. On y trouve là seulement la conscience du sujet sécularisé abandonné à lui-même et désenchanté des vertus d’une philosophie morale qui semble se perdre elle-même. Malgré tout, la position de MacIntyre perdure tant qu’il y a du vivant agissant, il y a de l’impensée dans son agir.
Une définition de la vertu apparaît donc comme « une qualité humaine acquise dont la possession et l’exercice tendent à permettre l’accomplissement des biens internes aux pratiques et dont le manque rend impossible cet accomplissement » (p.186). Une conception communautarienne de la vertu systématise et pare à toute incursion libérale qui mettrait le bien individuel au dessus du bien commun et universel. Car L’universalité est essentielle pour MacIntyre puisqu’elle est visée dans la recherche du bien interne. Mais elle est aussi dangereuse lorsqu’elle penche du côté d’un pluralisme qui renvoie à des réalités individuelles incompatibles ou incommensurables. Il n’y a ni lieu ni valeur qui permette de définir ce que pourrait être un bien commun.
Par exemple, le courage est une vertu parce que en lui l’intérêt envers autrui, les communautés les causes pose comme condition l’existence de cette vertu. Car qu’est-il, ce fameux courage sinon la capacité à prendre des risques quand l’existence appelle une décision ou une autre en situation périlleuse?
Tant que nous reconnaissons les composantes nécessaires à toute pratique, tant que nous partageons les normes et les buts caractériastiques de ces pratiques. Il est possible de définir le rapport à l’autre reconnu ou pas selon les normes qui implicitement, font encore autorité dans notre société a tendance a-morale et nihiliste.
Pour revenir au concept de pratique tel que compris par le philosophe anglais, il affirme qu’elle n’est pas « un simple ensemble de savoirs techniques ». Pour lui, elle est bien davantage transformation et enrichissement de la conception des biens et des fins par le biais d’une extension des savoirs humains et par l’intérêt pour les biens internes qui définissent en partie - note-t-il – une pratique particulère.
Et c’est la tradition, telle que mentionnée plus haut, qui oriente la pratique sur le chemin des vertus. Comment comprendre la moralité de notre agir sans référents historiques? C’est une question qui résonne tout au long du présent chapitre et qui a été posée comme condition d’une éthique Après la vertu. Donc, l’historicité du sujet narratif, le dispose à une attitude vertueuse vis-à-vis son prochain, la société, la politique, encore ici il y a relent d’idéalisme.
Dès lors pouvons-nous dire que MacIntyre reconnaît le statut d’ébauche de sa tentative de repenser la vertu après la vertu, c’est-à-dire au temps de détresse morale et psychologique du sujet contemporain. Il confesse son allégeance à Aristote tout en étant conscient du conflit tragique qui guette chaque sujet malgré des intentions les plus vertueuses.
En dernière instance, ajoutons que pour MacIntyre l’idée de bien interne situe de manière exemplaire la tradition téléologique aristotélicienne en laquelle il se situe. Il termine son chapitre en interrogeant dans le sens d’Aristote : «est-il rationnellement justifiable de concevoir chaque vie humaine comme une unité, afin de tenter de définir chaque vie comme dotée de son bien et afin de voir la fonction des vertus comme étant de permettre à un individu de faire de sa vie un type d’unité plutôt qu’un autre? » (p.197)
Cela dit, si MacIntyre comprenait la vie humaine davantage comme unité plurielle, il nous semble qu’il aurait plus de chances de structurer plus solidement sa théorie naturelle des vertus; qui bien que d’orientation universaliste semble prise dans un faux point de départ inclusif qui empêche certain dévoilement dans l’environnement éthique du sujet.
A la différence de MacIntyre, et dans une perspective peut être plus française, je préférerais comprendre la loi dans sa fonction spéculative, comme détermination de structures-en-mouvement qui se montrent et s’affirment comme médiatrice des différences. Médiatrices au sens propre du terme : c’est par elle (la loi) que les différences sont instituées et reconnues comme différences i.e comme altérités d’esprit constitutives de toute identité de soi à soi et de soi à l’autre. Malgré son optimisme MacIntyre est lucide, L’État moderne n’est pas légitime, il est simplement légal, et la tradition des « vertus » dont notre auteur retrace la longue histoire, n’a pas plus sa place dans l’ordre politique moderne, pas plus qu’elle ne subsiste chez l’individu, cette figure de l’homme moderne.