20 janvier 2019

L’expérience du rien, une expérience spirituelle



A bien y réfléchir, par les temps qui courent l'essentiel de notre époque porte sur le retrait de l'expérience religieuse et le retrait du (D)ieu et de son remplacement par l'expérience du rien. Le concept d'expérience est ici d'une importance déterminante et après l'avoir soustrait à l'horizon réducteur des sciences empiriques et l'avoir mis en rapport avec la pensée, il se déploie. L'expérience se retrouve alors définie comme « totalité », «immédiateté » et surtout comme ce qui « touche et transforme ». De telle sorte qu'après une véritable expérience, il n'est plus possible de porter le même regard sur le monde et sur soi. Ainsi en est-il de l'expérience du rien qui touche, ébranle et transforme l’esprit de notre temps. Il ne faut jamais confondre, l'expérience du rien avec le fait de ne pas faire d'expérience du tout.  Il en est de même dans l’expérience de la perte de l'autre.
Faire l'expérience de ne pas faire d'expérience religieuse, de ne pas faire l'expérience de Dieu, voilà ce qu'est l'expérience du rien qui est à la racine de l’esprit de notre temps, du Zeitgeist occidental postmoderne.
Il est possible d'indiquer l'origine historique de ce retrait de l'expérience religieuse. Il ne faut pas hésiter à mettre cette expérience en rapport avec la montée de la raison instrumentale : de ce qu’on appelle « le règne de la technique et de la science comme idéologie».
Quelques témoins importants de l'expérience du rien. Voix de poètes et de prophètes, Bertolt Brecht, Friedrich Nietzsche, Paul Celan, Martin Heidegger, T.S. Eliot sont de ceux qui comme le dit Cioran « lèvent les yeux et n'aperçoivent rien...». Que nous apprend leur rencontre avec le rien ? Sinon que là où l'expérience religieuse s'est retirée, l'expérience du rien s'est introduite et nous bouleverse, nous transforme, nous accompagne face à la mort. C'est pourquoi l’être humain cherche à l'esquiver.
Se tourner vers le « rien » qu’est-ce que cela veut dire ? En s'en approchant, on est frappé par son ambiguïté. En effet, le rien possède les traits d'une inquiétante infinitude. Il est comme un abîme infini, sans limite d'espace et de temps. Rien ne le limite et rien ne le fonde. Sa négativité est, pourrait-on-dire, absolue. À un tel point, qu'il est possible d'appliquer à l'abîme du rien le langage spirituel. Puisque le rien est apparu là où Dieu s'est retiré, est-il possible que le rien cache quelque chose de divin?
Alors la question qu'il nous brûle de poser est : à quoi le rien nous initie-t-il? À quelque chose de divin caché en lui ou à la pure vacuité du néant ? À partir d’une interprétation de l'expérience du rien comme possibilité d'une nouvelle expérience spirituelle. S’oppose à l'«interprétation vide du rien » ce que l’on appelle l'exigence de sens. «Tout devrait avoir un sens » : tel est le postulat le plus élémentaire et le plus indéracinable. Impossible d'y renoncer un tant soit peu sans souffrir. Toute carence de sens est ressentie comme une morsure. Bien sûr, ce postulat ne garantit pas que tout a un sens, mais que l'être humain ne se réalise humainement que dans un monde de sens. C’est par le « sérieux vital de l'éthique » que l'être humain expérimente que le bien a un sens. Nous voulons croire au sens du bien comme ce qui constitue la vérité profonde de notre vie.
Enfin, il y a aussi des expériences de relations, d'amour, d'amitiés, de solidarités qui sont pleines de sens et au coeur desquelles brille la lumière d'«un sens impérissable». Alors il est possible qu'à partir de cette lumière, ceux-là mêmes qui sont les témoins de l'expérience du rien deviennent les témoins de l'expérience de la lumière du rien, nous sommes les témoins du retournement du rien vers une nouvelle expérience intérieure. C'est le sens profond qu'en dépit de la sécularisation et du nihilisme, il ne soit pas impossible à l'homme moderne de faire une expérience de croissance face au rien de la mort aussi paradoxal soit-il.                                                                                                                                                                                                                                        M.G.L.

Voir là-dessus Bernhard WelteDas Licht des Nichts: Von der Möglichkeit neuer religiöser Erfahrung, 1980.


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