25 mai 2012

Sujet de vie ou objet de soins ?

MALHERBE, F.,  Sujet de vie ou objet de soins ? Introduction à la pratique de l’éthique clinique. Montréal, Éditions Fides, 2007, 471 p.

Sujet de vie ou objet de soins ? Telle est la question à laquelle Malherbe propose de répondre dans son dernier livre Sujet de vie ou objet de soins ? Introduction à la pratique de l’éthique clinique. On pourrait facilement penser que nous devons choisir entre les deux options, comme si nous étions aux prises avec un dilemme et qu’il ne pouvait pas y avoir deux réponses possibles puisque la logique du tiers exclu nous le défendrait. L’auteur, en reprenant des parties intégrales et remaniées d’ouvrages publiés antérieurement ou diverses conférences prononcées ici et ailleurs, montre que la pratique de la philosophie en contexte d’éthique clinique sert à rendre la vie des patients et la vie pratique des cliniciens plus intelligible en amenant au niveau conceptuel les normativités implicites. Le but d’un tel exercice philosophique, ou d’éthique appliquée, n’est pas de proposer de nouvelles normativités à la pratique médicale, mais de cultiver l’autonomie des êtres humains comme celle des praticiens. Ceux-ci, en renonçant à l’attitude de tout vouloir maîtriser, se mettent au service des êtres humains.

Est-il encore possible de se mettre au service de l’être humain étant donné le contexte dans lequel nous vivons aujourd’hui ? Le livre tente de réagir à cette difficile question qui laisse entendre que l’être humain souffre énormément en raison des différentes normativités extérieures qui le régissen tet sous lesquelles il ne se reconnaît pas. Mais plus que tout, si l’être humain souffre, c’est en raison de sa condition humaine, donc de sa finitude, de sa solitude et de son incertitude. Cependant, la pire souffrance pour l’être humain est justement de ne pas être reconnu dans la souffrance qu’il traîne avec lui tout au long de sa vie, sa condition étant d’être, en présence d’autrui, incarné dans un corps. C’est ainsi que, malgré le fait que tout soit possible, certains choix déchirent et entraînent l’être humain dans une spirale d’activités consistant à effectuer d’autres choix ad infinitum pour satisfaire ses besoins comme ses désirs.

La question n’est pas tant de savoir comment combler cet écart entre ce que je suis maintenant et ce que je désire devenir ultérieurement, mais comment assumer ma présence au monde en étant ce que je suis en train de devenir ? L’auteur montre que pour améliorer sa propre vie, il faut redevenir le sujet de sa vie en devenant son propre juge, car « l’être humain est un être dont la destinée est d’accoucher de soi-même, de devenir soi-même » (p. 31) à l’exception près que l’être humain doit surmonter plusieurs obstacles sur son chemin de vie. Comme l’indique l’auteur, « l’éthique […] est en effet une école de formation à l’autonomie de jugement » (p. 15). Pour ce faire, le philosophe ou l’éthicien devient un chien de garde qui dénonce les formes de l’injustice, de l’indignation et de la violence et rappelle à l’être humain de quel idéal il est investi.


Les principaux obstacles sont la science, la religion, voire l’éthique lorsque celles-ci propagent une idéologie de la certitude cherchant à « nier notre radicale faillibilité » à partir de laquelle s’impose la question de la finalité. Plus que tout, c’est la question de la finalité qui est évacuée de notre conscience.

L’éthique, en nous ordonnant de faire confiance à notre propre jugement, nous apprend, en plus de penser par soi-même, « à ne plus chercher d’impossibles certitudes et à vivre avec son incertitude » (p. 16). Elle nous enseigne à vivre dans l’incertitude, dans la solitude et la finitude d’une manière qui soit le plus juste possible. Cette justesse est le noeud du problème, car il est un objet de délibération. C’est pourquoi nous avons besoin du dialogue pour rendre à la délibération la puissance de nous éclairer en évitant l’écueil de l’arbitraire individualiste du « gros bon sens » et l’arbitraire légaliste « de la règle pour la règle ». Autrement dit, nous avons besoin des autres pour devenir soi-même, pour actualiser notre capacité d’autopoïèse qui consiste à mettre de la créativité dans notre destinée organique, psychique et symbolique. Ou autrement dit à la manière d’un Nietzsche : « s’exercer à soi-même en tant qu’œuvre « Chaque être humain est en puissance de soi-même, mais cette puissance ne s’actualise, ne devient réalité effective que dans et par la relation à autrui » (p. 32). C’est pour cette raison que Paul Ricoeur a parlé de soi-même comme un autre dans  Encore faut-il que les autres soient eux-mêmes des êtres autonomes pour qu’ils puissent convoquer l’autonomie. C’est pourquoi les premiers pas vers l’autonomie sont ceux que l’on fait pour favoriser l’autonomie des autres. « C’est d’autrui que je tiens mon existence » (p. 34).

En ce sens, l’existence d’autrui, plus spécifiquement son autonomie, est une condition transcendantale, c’est-à-dire une condition de possibilité pour ma propre existence en quête d’autonomie. Ainsi, le projet porteur du livre est d’établir les conditions de possibilité de l’existence humaine qui deviendront un impératif éthique fondamental. Cet impératif est le suivant : « […] agis en toutes circonstances de façon à cultiver l’autonomie d’autrui » (p. 215).

Si la première partie du livre a pour thème une anthropologie philosophique, la deuxième partie s’intéresse à la médecine et à la maladie, plus spécifiquement à la clinique. La question est la suivante : est-il possible en milieu clinique de favoriser le déploiement de l’autonomie de chacun ? La clinique n’est pas un lieu neutre, car en cet endroit se joue la destinée de chacun. Idéalement, la clinique est un lieu de subjectivation où il revient à chacun d’inventer le sens de sa vie en racontant sa vie. En ce sens, la maladie, au lieu d’être porteuse d’un non-sens radical comme quelque chose d’absurde attribuable au hasard, prend un tout autre sens. Certes, une crise, mais aussi une occasion de faire le point sur sa vie, de sorte que la maladie devient une composante essentielle de soi-même. L’auteur, en reprenant le discours de Laplantine, montre que la clinique est le lieu par excellence d’une appropriation du sens existentiel de la maladie où se joue la question fondamentale de la vérité de son existence.


Cependant, un autre obstacle se dresse. Ce sont les présupposés qui guident l’opérativité des sciences biomédicales, dont l’objectivation du corps humain où on l’abstrait de son histoire, de sa subjectivité et de son existence, de sorte que le corps qu’on a se substitue au corps qu’on est. Bref, il ya les organismes humains que l’on traite et il y a les personnes humaines que l’on soigne. Si la maladie est un amoindrissement de la capacité d’autonomie, alors la véritable vocation de la médecine est d’approprier les technosciences biomédicales à l’épanouissement des humains en prenant en considération le sujet dans son histoire personnelle. Et prendre en considération le sujet dans son histoire de vie, c’est amener la personne humaine au niveau du langage à partir duquel l’existence prend forme etsens. On voit bien que « l’enjeu fondamental de la médecine est la place qu’elle reconnaît ou qu’elledénie à la parole » (p. 207) étant donné que les actes de langage et nos décisions, qui en découlent,« confèrent à notre existence le sens que nous lui donnons » et « orientent de façon plus ou moinsdécisive la suite de notre trajectoire ». Si le corps humain ne répond pas seulement à des stimuli extérieurs et intérieurs, mais à des significations, il en va de même pour les personnes humaines dans la mesure où leurs comportements sont liés bien davantage à la signification qu’ils attachent à leurs comportements (p. 259) qu’à la « morale » et aux informations objectives sur les conséquences possibles de leurs comportements. Alors, la vraie nuisance consiste dans la volonté de faire le bonheur rdes gens en imposant son propre imaginaire et en méconnaissant la nature profonde de l’être humain. L’auteur définit ce dernier comme un être métaphorique, comme un être qui se projette en avant de lui-même d’où l’importance de l’ouverture au risque et à la liberté à travers laquelle se met en oeuvre notre capacité à imaginer notre futur sans perdre de vue le sens de la vie.

Dans la troisième partie de son ouvrage, l’auteur montre que ces enjeux du devenir soi de l’être humain se retrouvent à l’intérieur de questions particulières telles que la question des manipulations génétiques, de l’énigme de l’embryon, de la transsexualité, du tabagisme, de l’alcoolisme et des soins palliatifs. Dans ces questions particulières, l’enjeu principal est un enjeu critique où il en va de notre vie, de son sens et de sa destinée.

La dernière partie se veut une réflexion sur les pouvoirs et les limites de l’éthique. En partant du présupposé que « la relation humaine est une relation d’aide », le pouvoir de l’éthique consiste à encourager l’être humain à réinvestir subjectivement son corps, sa maladie, sa parole, bref, sa vie, pour éviter d’être seulement un objet de soin et pour parvenir à une vie la plus authentique possible, c’est-à-dire une vie dans laquelle nous faisons l’expérience de l’harmonie entre notre faire et notre dire. Comme l’indique l’auteur, « plus nous sommes authentiques, plus nous sommes autonomes, plus nous sommes éthiques » (p. 50). C’est pourquoi la question éthique fondamentale « est celle de distinguer ce qui nous subjective de ce qui nous objectifie, ce qui nous rend davantage sujets de nos vies de ce qui fait de nous des objets, voire les jouets de ceux qui nous tuent, nous manipulent et nous mentent » (p. 387). Il est manifeste alors que l’éthique n’est pas une doctrine ni ne dit quoi faire. Elle serait davantage « une manière de vivre à la recherche d’une juste position entre nos désirs et la réalité », entre « les valeurs affichées et les pratiques effectives ». C’est donc une discipline critique pour éviter et dénoncer l’homicide, la manipulation et le mensonge dans l’utilisation du dialogue, c’est-à-dire tout ce qui nous interdit de penser, en nous rappelant qu’un dialogue réussi pose la question du devenir de notre humanité et du devenir-soi, donc la question du sens et de la finalité pour redevenir de véritables sujets, principalement le sujet de notre santé en retrouvant notre créativité, en redevenant l’auteur de notre vie et non pas seulement un acteur.

On voit bien que pour l’auteur, une éthique authentique est une éthique de l’être et non du faire. L’éthique cherche à rappeler à l’être humain son devoir de poser son regard sur autrui, car pour devenir autonome ou soi-même, c’est-à-dire pour exister, nous avons besoin des autres pour être décentrés, pour que s’établisse une distance envers soi-même, car ce dont nous avons besoin le plus, est de se transcender. Dès lors, l’autonomie c’est la loi du partage ; elle est là pour départager le même de l’autre ou reconnaître dans l’autre le même et dans le même l’autre. Penser l’autre, c’est se rapprocher de lui et le faire émerger dans son autonomie.

Ceci étant dit, ce livre de Malherbe mérite notre attention. Même si à première vue, il n’apporte rien de nouveau, le simple fait de rassembler, dans un ordre différent, des textes déjà connus, nous permet d’en refaire une lecture nouvelle et d’en approfondir toutes les dimensions cachées. D’aucuns diront que ce livre n’apporte aucune aide pour résoudre des questions particulières, je répondrai qu’il montre à merveille qu’avant de pouvoir résoudre un problème éthique, si faire se peut, il faut réfléchir à l’existence humaine. Autrement dit, il faut savoir de quoi on parle, sinon l’éthique risque d’être réduite à « une application bureaucratique des normes » et à une « rationalisation des bons sentiments des décideurs ». Alors, s’exercer à l’éthique, en posant la question du sens, c’est philosopher, ce qui ne relève pas du savoir, mais de la sagesse.

Jacques Quintin
Laval théologique et philosophique, vol. 64, n° 2, 2008, p. 559-561.

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