Le domaine de l'éthique, qui met en jeu les dimensions radicales de l'origine et de l'accomplissement (de la naissance et de la mort), suppose un sujet qui trouve dans l'expérience de la relation, le fondement de sa propre identité - ce qui le fait tenir et se tenir en lui-même comme liberté (son auto-stance). Mais que faire de ces troubles de l’esprit qui scandent le malaise identitaire de Paul Celan? Est-il question ici d’une généalogie des conséquences du nihilisme. Ou simplement de l’analyse d’une maladie liée à l’émergence de l’individualisme contemporain médiatisé par la civilisation technicienne ?
Si les concepts décisifs d’une conception linéaire de l’histoire que représentent l’archê et le telos dans la réflexion sur l’identité symbolisent, sous la signification du fait d’être-jeté-au-monde et au monde vers la mort, le court laps de temps qui nous est échue pour « habiter poétiquement le monde ». Ne devons-nous pas comprendre que la relation consiste en un certain transit. Dans cette perspective, l’on se trouvera inévitablement à questionner en direction de cette manière d’être poétiquement au monde, car « c’est en poète qu’habite l’homme » résonne au lointain du XIXe siècle la parole poétique de Hölderlin. Cette parole retentit jusque dans la poétique de la détresse de Paul Celan.
En raison de la langue dirait-on avec naïveté, alors que c’est surtout d’une connaturalité de la spiritualité du deuil, qui est peut-être inconsciente – cela reste à déterminer au lieu de notre origine psychique, c’est-à-dire au lieu de la Parole qui est aussi bien remémoration, que piété douloureuse du souvenir. Paul Celan fera de cette mémoire un symptôme dès l’âge de vingt-et-un an, lorsqu’il revint chez lui pour trouver un lieu familial vide où règne l’absence des disparus, ses propres parents enlevés par la Gestapo.
Celan fut un homme au sentiment tragique de l’existence, un homme du XXe siècle, au vécu inscrit au but ultime. Survivre au souvenir des morts, entre fulgurance poétique de l’affect et libido de wundegelesenes (lecture-blessure des événements qui produisent une écriture-blessure) dans le poème comme projet d’existence où plus justement, questionnant le rôle du poète en temps de détresse, Celan en devient l’archétype.
C’est à cette piété de la pensée comme mémorial de l’abomination de l’inimaginable que Celan va produire cette écriture-blessure que nous nous proposons de questionner par une herméneutique de l’autostance et de la relation du sujet à la mémoire, concepts importants au sein de l’interprétation de ce type de discours.
C'est à l'intérieur d'une stratégie d’altérité — qui prend en compte les affects de cette écriture-blessure comme médiations de la mélancolie — que sera vérifiée la substance d’un style de pensée, d’un « penser poétique » que nous articulons autour des catégories éthiques d’autostance et de relation.
Quels sont les a prioris philosophiques de cette « poétique de la détresse »? La question qui se pose ici est imminente, car elle suppose des concepts. Les affects apparaissant comme conséquences de la reconnaissance d’une détresse ou d’un désastre? Devrait-on questionner la représentation de l’émotion, ou la perception de l’affect ou le rapport à cet Autre du désir qui révèle que soi-même est un Autre ? Tant de questions qui ne trouveront voie de résolution que dans une méditation de chacune des parts d’altérité qu’il nous faut envisager pour accéder à la raison poétique de cette écriture.
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