Ces temps-ci, il n'est pas anodin de se rappeler ce que signifie
accueillir l'autre dans ses différences qui à un moment ou à un autre nous
gênent. Rappelons-nous ici de l'univers pataphysique d'un Alfred Jarry
(1873-1907). Le héros de cet univers qui est le fruit de la science des
solutions magiques est le père Ubu pour qui l'important est de fabriquer et
d'étudier "les lois qui régissent les exceptions", et de mettre tout
en oeuvre pour assurer le règne inconditionnel des fantasmes individuels. Quand
nous entendons parler d'accueil on est placé devant l'exigence de l'acceptation
inconditionnelle de l'autre en ses divers traits et d'apprécier non seulement
ses valeurs mais aussi ses différences culturelles. Devant subir l'effet du
regard étranger, on se trouve au bout du compte devant une question : qui
sommes-nous? La jouissance paisible de son propre mode de vie, d'un déjà su et
d'un déjà vécu et pas autrement, est un élément charnières autour duquel
s'élaborent les fragiles construction de l'identité. Fragilité car notre
appartenance est loin d'être aveugle : elle peine à se réfléchir, comme
d'ailleurs tout ce qui permet de la regarder. Si l'oeil peut tout voir c'est
parce qu'il ne se voit pas directement , mais seulement par réfraction dans le
miroir et qu'il ne peut aussi ne pas voir instantanément ce qu'il croit poindre
à l'horizon de son regard.
Certains parmi les
esprits prétendument éclairés accusent à la volée de "peureux"
quiconque oserait se laisser tourmenter par la question de l'identité, et ils
banalisent cette question. Le rêve sécurisant de la souriante rencontre
d'autres êtres humains qu'on s'imagine comme nous, vient se brise sur le roc de
la vie de tous les jours engoncée dans les différences qui la font. Une sorte
d'attachement épidermique à un presque rien décisif souvent moralisé en dignité
(d'un peuple) ou en fierté (nationale) cache mal une idolâtrie de l'instant qui
considère ce qui dure avec mépris. L'identité est une question qui nous
étrangle et qui, devant nos yeux, se transforme en bourbier incompréhensible
dont on cherche à sortir en évacuant si possible le rapport à la culture sous
prétexte que ce rapport serait trop lesté de religion pour faire l'affaire.
Devant pareil état de
choses, ce qui importe, ce n'est pas d'expliquer - et de s'excuser; c'est de
situer. Sommes-nous en présence d'une querelle qui n'est pas faite pour être
comprise, et partant dépassée, mais plutôt de ce qui échappe à la parole, au
sens de ce qui est mis de côté et qui néanmoins, relève du débat?
Le rêve d'une société
embrassant toutes les cultures dans une souriante apesanteur vient se briser
sur le roc de tous les jours. Nous vivons à l'âge de l'alibi qui nous fait
croire que la faute doit toujours être reportée sur autrui, que les êtres
humains naissent non seulement perfectibles, mais semblables et que par
conséquent, toute différence désagréable doit être attribuée à un environnement
désagréable. Ce qui permet à certains de faire l'apologie vertueuse de leur
propre conduite, et aux autres qui n'en font pas partie, de vivre dans la
culpabilisation et la confusion. Le double impératif de l’accueil et du respect
est un préalable à la double tâche de la détermination de soi et de son lieu de
vie. Seuls des égaux supportent d'être différents.
L'acceptation fait fond sur
le fait paradoxal que seul est perdu ce qui n'est pas offert. L'accueil est
impossible entre un donateur coupable et un débiteur ingrat. Le deuil le plus
cruel n'est pas causé par la perte d'un passé, mais par la conscience de
l'avenir trahi.
M.G.L.