16 novembre 2016

La philosophie québécoise est en deuil : Bertrand Rioux in memoriam (1929-2016)


















Tout le mouvement, toute la respiration de cette œuvre de pensée tiennent dans ce va et vient; de la ressemblance retrouvée entre saint Thomas et Heidegger comme penseurs de l’être, le lecteur est sans cesse renvoyé à leur différence invincible en tant que penseurs de la vérité de l’être.

Paul Ricœur[1]


C’est le 9 octobre dernier que l’érudit lucide et généreux Bertrand Rioux c’est éteint à l’âge de quatre-vingt sept ans. Originaire d’Amqui au centre de la vallée de la Matapédia au Québec, il est petitfils d’agriculteurs et fils d’un marchand général rassembleur. Il commence ses études classiques au séminaire de Rimouski; après le collège, il choisit de s’orienter vers la philosophie, cela est pour lui un véritable « kairos » qui est à l’origine de son cursus philosophique à l’Université de Montréal, au semestre d’automne 1951. Il y demeurera jusqu’à l’obtention de sa Licence, en 1953. C’est durant ces années qu’il découvrira l’humanisme d’un philosophe qui devait avoir une influence durable sur sa pensée, le célèbre philosophe de l’être Jacques Maritain (18821973).
Après le baccalauréat, durant lequel les questions d’humanisme, de métaphysique et de phénoménologie retiennent singulièrement son attention, il décide de consacrer sa thèse à la pensée politique de Maritain. C’est à cette époque qu’il fit la connaissance d’un professeur qui eut une influence cardinale sur le jeune étudiant, le père LouisB. Geiger. Durant la même année, les portes de l’École normale JacquesCartier s’ouvrent au jeune licencié en philosophie, qui s’inscrit au carrefour des traditions phénoménologique et scolastique. De 1953 à 1957, il y enseignera tous les traités de philosophie – de la logique à l’épistémologie en passant par la métaphysique,  jusqu’à la morale et au politique.
En 1957, il transite vers Paris où il entreprendra une thèse de doctorat tout à fait originale, sous la direction de ce grand spécialiste de Kierkegaard que fut le professeur Jean Wahl (18881974).
Le thème choisi émerge depuis la lecture de L’essence de la vérité (1930)[2] de Martin Heidegger. Un tournant « historial » ou « Kehre » advient alors pour le jeune philosophe, se transformant à l’instant même en préoccupation décisive. Il touche la question fondamentale de la vérité ou « du sens de l’être » en philosophie en son versant même d’exercice spirituel. Cette question se radicalise jusque dans son essence fondamentale comme vérité de l’Essence.[3]
Il déploiera sa réflexion dans une « entreprise pleine de périls » mais « qui méritait d’être tenté » aux dires de Paul Ricœur lui-même, avec la comparaison des doctrines de deux penseurs essentiels de la tradition philosophique occidentale : un penseur contemporain, Martin Heidegger et le grand docteur médiéval, Thomas d’Aquin.
Partant de Heidegger, il démontrera audacieusement la primauté de la pensée de la vérité de l’être telle que conceptualisée par Thomas d’Aquin. Ce qui permettra à Bertrand Rioux de mettre en lumière, chez le penseur de la Forêt noire, le passage de la vérité du Dasein (Existant) comme rapport de l’étant en totalité à la méditation de l’oubli de l’être; cet oubli déjà inséparable de la vérité de l’être faisant apparaître, de ce fait, « une ontologie de la vérité qui repose sur le dévoilement de tout être (ens) dans l’être (ipsum esse) ».
De passage à Montréal en novembre 1959, avant de retourner pour sa soutenance doctorale à l’Université de Paris, il rencontre le professeur LouisMarie Régis, alors doyen de la faculté de philosophie. Ce dernier lui fait une « promesse d’engagement », qui devait se concrétiser après une soutenance de thèse remarquable qui lui valu la mention Summa Cum Laude et les félicitations du jury composé de Paul Ricœur, Maurice de Gandillac et Jean Wahl à la Sorbonne, au début de l’été 1960.
Le jeune philosophe s’y distingua par son audace, sa rigueur et son originalité. C’était là un prélude exceptionnel à l’enseignement de la philosophie de l’être et des philosophies de l’existence, au point d’en faire un acteur déterminant i.e. l’initiateur pour ne pas dire le sourcier de l’enseignement de la philosophie allemande et de la phénoménologie à la faculté de philosophie de l’Université de Montréal de 1960 à 1991.
D’ailleurs, il donna des cours de philosophie à l’Institut théologique de Montréal en 2002-2003 jusqu'à son ultime séminaire sut l’anthropologie de Jacques Maritain et la phénoménologie qu’il nous professa avec tant de générosité, lors de son dernier hiver.
En convalescence, Bertrand est généreux de ses paroles, racontant son passage en Forêt noire chez Heidegger. Ou sa rencontre avec Merleau-Ponty, au milieu des années 50, qui lui avoue avec désinvolture : « J’ai relu L’être et le néant de Sartre… et je n’en crois pas un mot ! »
 L’homme de profondeur est aussi généreux de son écoute, qu’il est soucieux d’entendre la jeune génération sur ce qu’elle pense de sa philosophie, des transformations sociales, du déclin de l’humanisme et des bouleversements politiques du temps présent. Celui dont l’activité intellectuelle fut paroxystique dans une époque de révolution tranquille fut sensible à ces mutations de la pensée. Car il savait que les véritables révolutions sont de nature sémantique et qu’elles nécessitent par conséquent que l’oreille demeure à l’écoute et la pensée ouverte au dialogue avec l’événementiel de l’histoire.
Dans ses écrits et dans l’esprit de ses étudiants et de ceux qui l’ont côtoyé, Bertrand Rioux laisse derrière lui les traces indélébiles d’un esprit supérieur qui s’est toujours ressourcé à ce qui constitue un authentique philosophe, je pense à cette fameuse intuition de l’Être, qui n’est pas donnée à tous les professeurs, mais dont il sut si judicieusement ouvrir le chemin de ce côté-ci de l’Atlantique.
Durant un cursus studiorum en philosophie on rencontre plusieurs techniciens narcissiques et haïssables, quelques bons professeurs. Mais rares sont ceux qui marquent à jamais l’existence d’un être humain en chemin, Bertrand Rioux fut un de ceux-là! Il s’est distingué  - avec grande cohérence - par sa manière d’être, au point « où vie et œuvre ne font qu’un » - celle d’un Maître qui, accouchant les esprits comme Socrate, nous indiqua le chemin d’une vie philosophique en claire conscience. C’est sur ses traces que nous le suivront, alors qu’il est passé sur l’Autre rive, du visible à l’Invisible. 


Martin G. Laramée, M.Th; M.Ph
Ancien étudiant de l’honorable professeur,
Laval, le 12 octobre 2016


[1] Paul Ricoeur, préface à L’être et la vérité chez Heidegger et saint Thomas d’Aquin, Montréal-Paris, Pum-Puf, 1963, p. IX.
[2] L’être et la vérité chez Heidegger et Saint Thomas d’Aquin, Montréal-Paris, PUM-PUF, 1963, p. 6.
[3] Cf. Martin Heidegger, De l’essence de la vérité,( traduction française), Paris, Gallimard 1959.



25 août 2016

L'expérience cosmothéandrique vers une spiritualité pluraliste selon Raimon Panikkar

«L’intuition cosmothéandrique est l’intuition intégrée du tout, du «tissu sans jointures de l’entière réalité… la connaissance indivisée de la totalité» (La Réaltà Cosmoteandrica).
«Il n’existe pas trois réalités: Dieu, l’Homme et le Monde; il n’y en a pas non plus seulement une, ou Dieu, ou Homme ou Monde. La réalité est cosmothéandrique. Notre façon de regarder fait que la réalité nous associe parfois à un aspect, parfois à un autre. Dieu, Homme et Monde sont, pour ainsi dire, en collaboration intime et constitutive pour construire la réalité, pour faire dérouler l’histoire, pour continuer la création (Trinità ed Esperienza dell’Uomo)
L’intuition cosmothéandrique exprime l’union indissoluble, totalisante, qui constitue toute la Réalité; la triple dimension de la réalité comme un tout : cosmique-divine-humaine. L’intuition cosmothéandrique est la «connaissance indivisée de la totalité». La proposition de Panikkar est de vivre ouverts à cette triple dimension de la réalité, ouverts aux autres, au monde et à Dieu, afin de pouvoir parvenir à la communion harmonieuse avec le tout: la réconciliation cosmothéandrique. Il s’agit d’une expérience plus mystique et ineffable que philosophique au sens traditionnel; elle brise néanmoins tous les schémas philosophico-théologiques en usage.

La dimension cosmothéandrique est une autre façon d’exprimer la conception de la Trinité radicale de la réalité (voir plus loin). La structure triadique et la conception trinitaire sont, chez Panikkar, non seulement dans la pensée mais également dans la méthodologie qui organise même ses écrits en structures triadiques et relatives multiples, comme dans le cas de ses «neuf syllabes» (trois fois trois).
Le cosmothéandrisme est un concept indispensable pour comprendre la pensée panikkarienne: «but et plénitude de chaque religion» (Trinità). L’intuition cosmothéandrique, le mystère cosmothéandrique ou plus exactement – même si moins euphonique – la réalité théantropocosmique rend manifeste ce qu’est la relation, c’est-à-dire ce qui unit la réalité divine, humaine et cosmique.
La compréhension de cette vision ne peut faire abstraction de la perspective de l’a-dualisme advaita et de la relativité radicale (voir plus avant), et d’une nouvelle innocence qui voit différemment de nous, humain, la vision fragmentée de la réalité propre, pour arriver à cette compréhension et un vécu unitaire de la réalité dans laquelle nous sommes immergés.

Cette nouvelle innocence «s’est libérée de l’anxiété de perfection qu’implique la nécessité d’être meilleur que les autres… C’est pure aspiration… [Cela se situe dans] le royaume de la pure grâce» (La nueva inocencia, Sotto il Monte, 2005). L’aspiration à l’harmonie qui «trouve place dans la réalité quand nous sommes en consonance» apporte avec elle bonne humeur, douceur, sérénité et paix, qui sont «manifestations de la structure de la réalité». Ce n’est pas le rêve ingénu du vouloir récupérer le paradis, mais plutôt «la guérison, dans la culture occidentale moderne, de la blessure provoquée par l’illuminisme séparant l’épistémologie de l’ontologie, faisant de la connaissance la chasse à l’objet de la part du sujet». Pour cela «elle ne suit pas les mouvements de la dichotomie entre objet, chose objective divisée par l’homme, et sujet, esprit subjectif», elle ne tombe pas dans la «concupiscence de la connaissance objective» mais plutôt «elle unie en un même acte la connaissance et le connaisseur, car elle sait que l’un n’existe pas sans l’autre, sans la relation». (Ibid).

«Si le message chrétien a un certain sens, c’est bien cette expérience de la réalité cosmothéandrique de chaque être, de laquelle Jésus-Christ, véritable Dieu ou véritable Homme, est le paradigme. En Christ, la matière n’est pas pour son compte personnel, l’homme d’une part et Dieu d’une autre; aucunes de ces dimensions intrinsèquement unies n’est supérieure à l’autre, raison pour laquelle cela n’a pas de sens d’affirmer que Christ est plus divin qu’humain, plus mondain que céleste, ou vice-versa. Le voile de la séparation a été arraché et l’intégration de la réalité commence avec la rédemption de l’homme» (Culto e Secolarità in Mito, Simbolo e Culto, Milanoo 2008).

12 août 2016

Michel de Certeau – Une Anthropologie entre croire et transit

Introduction : portrait d’un passant
« Est-il encore temps de parler de l'homme, à nouveau, ou est-il déjà trop tard? L'Occident, cela fut avancé naguère, serait entré dans son crépuscule, d'autres ont dit dans son déclin. Il a connu les avatars de l'exaltation et de la décadence[1]. »
      Dans le champ de la pensée certalienne, je ne suis qu’un amateur au sens fort du mot latin : amator. C’est-à-dire : celui qui aime, amat.[2]» Car j’ignore trop de choses pour me considérer autrement. D’ailleurs, « Si je n’ai pas l’Amour, je ne suis rien. » dit Shaoul/Paul (dans I Corinthiens, 13,2).[3]
S’aventurer en pareil style de pensée est un cheminement en soi, du fait de la finesse de son écriture et du foisonnement de celle-ci. Reconnaître la portée de la pratique de l’autre sur l’anthropologie du croire et du transit, n’est pas chose facile. C’est pourtant à cela que s’est adonné Certeau sa vie durant. Historien et épistémologue ouvert à toutes les transversalités, il fut un initiateur des études sur la mystique. Mais il fut aussi, par son intérêt pour le message freudien, l'un des fondateurs, avec Jacques Lacan, de l'Ecole freudienne de Paris en 1964.
 Paul Ricoeur disait que Certeau fut « un outsider du dedans», toujours en écart sans cultiver une position de marginalité. Il exemplifie une figure, celle de l’intellectuel « exilique », l’intellectuel de l’exode dont l’itinérance est guidée, ni par le cumul de ses positions de légitimation, ni par quelque souci de territorialisation de son champ de compétence.
En s’exposant de manière paroxystique comme une photo surexposée. Il aura toujours été, comme il l’a dit : « au bord de la falaise », dans une constante prise de risques, car ce chemin vers l’autre est une mise en péril de sa propre identité et de ses certitudes. Cette quête implique une ascèse qui l’a conduit à évider toutes les certitudes, les « prêts à penser » par une pratique du pas de côté, de l’écart avec la conviction que rien n’est jamais le tout.
D’où un parcours périlleux au cours duquel il s’est brûler lui-même. On peut, sans forcer le trait, parler de consumation intérieure dans ce mouvement par lequel il a préféré mourir à lui-même pour laisser place à l’autre pour que ce dernier parvienne à aller jusqu’au bout de lui-même. D’où une sidérante unité chez Certeau entre sa vie et son oeuvre, au point que sa vie fût son oeuvre. Animé par une marche mystique qui le conduit à une éthique de la liberté et à une poétique de la parole, à la manière d’un des premiers compagnons d’Ignace, Pierre Favre, «Tout l’arrête, rien ne le retient[4]».
Sans compassion ni mièvrerie, Certeau fut un initiateur fascinant car il avait su renoncer aux oripeaux d'une maîtrise de mascarade. Il dédaignait les honneurs, les fastes et les médailles, préférant se heurter sans cesse, et sur tous les continents, à l'incandescence fragile des rébellions extrêmes ou quotidiennes. De cause à effet, l’effectuation de l’unité de l’expérience humaine, toujours à faire, est saisie dans son unité plurielle, c'est-à-dire en tant que pratique « d’arts de faire » qui sont propres à un langage et, donc, à des signifiants qui jouent plus qu’on ne saurait le dire dans la rencontre de cette « inquiétante étrangeté » qui teinte la réalité pulsionnelle du sujet de désir, cet homme ordinaire dont parlait Freud, ce « parlêtre» dont la nomination lacanienne nous laisse perplexe!  
Ce qui advient pour Certeau n’advient que par une certaine fulgurance tragique qu’encaisse la conscience du marcheur, contrariant la volonté à acquiescer à un certain renoncement, mais dans une Parole qui porte la marque d’une propension à la création, une Parole jamais dite, inouïe. A cela s’ajoute une manière de s’insérer dans un espace qui implique des stratégies d’altérité qui deviennent l’usage, d’une poétique, générant des discours à inventer un quotidien issu d’un présent-passé comme d’un présent-à-venir.
Cela nous rappelle que personne n'est détenteur de façon monolithique de la vérité et doit accepter les limites et la finitude de sa propre contingence à comprendre et saisir la pluralité de la vérité peu importe sa tradition ou son allégeance intellectuelle. Car le lieu de la question n’est pas la discrimination mais la « claire conscience » de la réalité.
Dans un monde qui se réenchante du confort de la technique ce marcheur infatigable, explorateur des contrées multiples et diverses du domaine des savoirs ne préféra pas la sinécure à l’effort prolongé vers le difficile qui change nos manières et qui génère autre chose que la répétition du même.

1 – L’histoire de la mystique: point de départ de l’anthropologie

Michel de Certeau a suscité à contre-courant une réappropriation des «arts de faire » propre au croire, à l’histoire de la mystique, à la psychanalyse, sans occulter la sociologie, la linguistique en lesquelles, il s’est de manière insoupçonnée trouvé une « demeure » pour écrire/parcourir le récit de cette expérience de voyageur qu’a dessinée La Fable mystique.
Le premier écrit de Certeau date de 1954[5], c’est un article sur l’expérience du salut chez Pierre Favre - écrit à travers les méandres de son édition critique du Mémorial du mystique savoyard. Il emprunte un autre chemin celui de l’histoire de la mystique qu’il inaugure dans son anthropologie. Ce chemin de pensée, il n’en bifurquera jamais, au contraire il s’y ressourcera au carrefour des transits épistémologiques de l’histoire, de l’analyse de la société, de la psychanalyse, décisifs dans la constitution de son anthropologie.
En particulier, à travers l’énigmatique figure du jésuite Jean-Joseph Surin — personnage aussi obscur que fascinant. Le rapport à Surin, mystique du XVIIe siècle, est central chez de Certeau : par un impressionnant travail d'édition, il a d'abord rendu son oeuvre à nouveau accessible ; à son contact, il a élaboré une théorie de la mystique, mais il s'est aussi de plus en plus intéressé à la seule marginalité d'une partie de son existence. (L’épisode de La possession de Loudun en particulier[6])
A ce stade, sa lecture devient ambivalente et le texte premier a changé de nature : il a inspiré en lui un langage et des attitudes pour explorer les nouveaux espaces de l'histoire contemporaine. Son interprétation est devenue emblématique de son propre itinéraire.
En travaillant à la marge, mais en faisant de cette marge la centralité de Surin, il pose une décision dont on voit bien qu'elle l'engage lui-même au premier chef. Dès lors, Surin ne disparaît-il pas dans La Fable mystique au moment où il devient le plus central, point d'argumentation d'une théorie de la mystique qui l'emporte sur la pratique des textes. Le choix des textes est en effet significatif, plus encore, par ses restrictions croissantes, voire, sans nuance péjorative mais au sens le plus symptomatique du terme, par ses « obsessions ».
Certeau va donc repérer une «sorte» de structure dans la parole mystique. Plutôt que de comparer la pertinence dogmatique des énoncés, il se met à l’écoute des textes comme l’analyste à la parole de l’analysant. La mystique étudiée apparaît comme un discours nouveau, à la première personne du singulier, qui tente d’arracher à l’objectivité du discours de la théologie « devenue scientifique » une possibilité de parler de Dieu autrement qu’à le réduire à un savoir.
Là où le discours scientifique objectivise, il rend présent en le représentant et assigne à résidence, la stratégie des mystiques pour parler de l’autre, sans le réduire à ce que l’on peut en connaître. Cela consiste à inscrire le manque dans le discours ; inscrire le manque au cœur du discours c’est, pour les mystiques, la possibilité de recueillir, évanescent, le discours de l’autre.
C'est ainsi que la célèbre et magnifique Ve strophe du Cantique spirituel citée inlassablement - indice de joie ou de souffrance, comment savoir ? Voici l’extrait :
«Je veux aller courir parmi le monde
 Où je vivrai comme un enfant perdu
J'ai pris l'humeur d'une âme vagabonde
Après avoir tout mon bien dépendu.
Ce m'est tout un que je vive ou je meure,
Il me suffit que l'Amour me demeure[7].»
Reconnaissant sa parenté avec Surin, cet autre marcheur, Certeau confiait lui-même, au début de L’écriture de l’histoire (1975), avec un esprit d’une jeunesse indéfectible, en faisant sienne la parole d’un Jules Michelet : « La route — « ma route » (…) « J’allais, j’errais… Je courus ma voie… J’allais… hardi voyageur. » Marcher et/ou écrire, tel est le travail sans trêve, « par la force du désir, sous l’aiguillon d’une ardente curiosité que rien ne pouvait arrêter ». Michelet multiplie les visites, avec « indulgence et crainte filiale » à l’égard des morts qui sont les bénéficiaires d’un « étrange dialogue », mais aussi avec l’assurance « qu’on ne pouvait plus réchauffer ce que la vie a délaissé ». Dans le sépulcre habité par l’historien, il n’y a que « le vide [8]».
Pour reconnaître les métamorphoses de ce vide de l’historien, pour le rapprocher du vide de l’homme ordinaire de l’actuel présent. Il faut se tourner vers le malaise de l’individu moderne qui cherche comment assumer sa mélancolie en raison du retrait de Dieu dans nos sociétés (forme de dépressivité du fantasme) pas si rare de nos jours. C’est pour parler métaphoriquement, une sorte de tension en laquelle le marcheur se tient sans en connaître l’ampleur.
Exposer cette anthopologie nous renvoie d’emblée à l’intérêt qu’avait Certeau pour la pensée de Marcel Jousse -  anthropologue du geste disparu en 1961! En effet, Jousse cherchait à retrouver derrière l’écriture l’oralité sous-jascente, non pour l’opposer à l’écrit mais pour l’articuler à son autre. Dans ses travaux (L’anthropologie du geste, 1969), Jousse réalise le déplacement que souhaite de Certeau : du théologique à l’anthropologique, et toute son œuvre réalise un retour au geste comme plus originaire et plus signifiant que l’écrit :
« Pour Jousse chaque petit paysan porte en lui une connaissance expérimentale qui n’attend, pour se révéler, qu’une prise de conscience.[9]» L’œuvre de Jousse représente pour lui un retour au geste comme à la source de la verbalisation et il entre en résonnance avec des thèses qui explorent l’originaire : « L’analyse du Mimique et du Rythmique entend faire jaillir en l’homme  ce qu’il y a de plus archaïque et de plus fondamental en lui. [10]»
En ouvrant l’anthropologie à la croisée des sciences humaines et sociales, il y a liaison du langage aux lois du corps, cette perspective qui vient de Jousse sera déterminante sur le chemin de pensée de Certeau.

2-Des transits du croire

C’est un lieu stratégique dans la pensée certalienne que de parler d’une anthropologie transitive. Cela évoque la figure du Wandersmann, de ce mystique fameux que fut Angelus Silésius, celle de « l’homme en chemin » à la fois errant et migrant qui, chez de Certeau, pour ne pas dire « par lui » et « en lui », se rencontre en divers lieux de sa réflexion et prend la figure selon laquelle «la relation consiste en un certain transit», un transit qui évoque un trépas. Penser le sujet de désir dans la cartographie de l’altérité et la diversité de ses articulations langagières induit et conduit vers une anthropologie du croire; et aussi à se poser la question du croire en général, de la crédibilité interrogée hors de son lieu religieux pour esquissez les bases d’une «science du croire.»
 Comme le fait remarquer Louis Panier : « une anthropologie du croire n’est pas une théologie de la foi, elle ne traite pas particulièrement de la croyance religieuse, il s’agit d’abord d’une question anthropologique qui nait de la pratique d’historien de Certeau.[11] »
Ainsi, Certeau « va parvenir à définir les contours de ce qui serait comme un opérateur dans les croyances nécessite un déplacement de sa recherche sur les contenus vers les conditions de l’énonciation de ceux-ci qui privilégiant le dire sur le dit. Le « pas-ça » qui relance de manière constante fait place à une anthropologie ouverte sur de l’insaisissable, de l’indéfini, du rien, et met en même temps lumière sur l’irréductible. Elle soutient la question du chercheur et anime sa marche vers l’autre. Le croire est toujours, pour de Certeau, du coté d’un faire.[12] »
Certeau emprunta donc un « chemin autre » pour intégrer anthropologiquement croire et transit qui s’éprouvent aujourd’hui à l’urgence de repenser la « présence » de l’homme en sa quotidienneté. Ce discours ne va pas au détriment de la psyché du sujet comme une certaine interprétation psychologique des conseils évangéliques, trop souvent responsable d’une déstructuration psychique du sujet de désir, à coups «d’idéaux ascétiques» comme nous le rappelait si justement le psychologue Nietzsche.
En effet, le but de tout discours sur l’homme et son âme n'est-il pas d'éliminer le voile d’ombre du désir qui figure l’impossible objet?
C’est par une certaine « nécessité poétique (j’oserais dire une ‘’ferveur’’, avec la force de ce vieux mot) que naît de la perte qui ouvre effectivement sur une faiblesse; comme si, d’avoir épié les signes de ce qui nous manquait, naissait peu à peu la grâce d’être atteint par ce qui s’y indiquait de plus fragile et de plus fondamental. […] On ne choisit pas d’être croyant. C’est un vouloir qui traverse les options et dont elles ne sont que des symptômes.[13]»
Peu à peu, dans chacune des disciplines qu’il traverse, Certeau fait son œuvre, suscitant commentaires ou discussions, fécondant la réflexion, tant en Europe qu’en Amérique du nord. Mais, chaque fois, c’est une partie de ce travail qui est envisagée, comme si l’effort pour penser par-delà les frontières des discours ne devait pas constituer une clé de lecture décisive pour son oeuvre.
       L’anthropologie, ce mot qui définit avec assurance toute l’œuvre certalienne, se dévoile minimalement en deux lieux pour qui tente de saisir celle-ci dans sa pluralité et son articulation épistémologique: 1. l’importance qu’il accorde à cette anthropologie du croire apparaît dans la question du rapport du croire au savoir, de la crédibilité, des manières de croire, des philosophies de la croyance, de la distinction entre le voir[14]  et le croire avec les transits qu’elle suscite, de la dynamique des croyances,   2. et s’achève sur la distinction aristotélicienne entre l’endoxon (l’admis, l’accepté) et l’eikota (le vraisemblable, le conjectural, le probable) qui confère à l’institution une place majeure de médiation dans la transformation du croire en savoir.
      Certains croient que l’étude anthropologique du croire, à laquelle Certeau a consacré son séminaire à l’EHESS[15] à partir de 1984, constitue la station terminale de sa recherche.[16] Pourtant, il n’y a rien de plus erroné. On l’a vu plus tôt, si la croyance occupe un tiers de ses recherches publiées, «cette question est partout présente, elle tisse souterrainement tous les textes, elle porte la dynamique interne de sa pensée.[17] »
En analysant le discours sur la société, on met en évidence, la façon dont le discours mystique est aussi anthropologique. Simultanément, émerge le chemin de l’anthropologie du croire. Dans le cadre d’une telle analyse, le croire n’est pas d’abord, mais pas non plus exclusivement, le croire religieux ; un même vocabulaire, toujours aussi religieux, traverse les expressions. Dans une optique économique, l’acte de croire s’éprouve comme expression anthropologique de la dette et de la réception. La dette désigne la même chose que le crédit : c’est le point de vue des personnes en présence qui est précisé par le terme ; ce qui atteste de la dette, c’est la reconnaissance de dette ou reçu.[18]  Les vocabulaires du croire et du commerce ne cessent de se croiser (reconnaissance de dette, obligation, don, crédit, créance, reçu) selon l’usage latin du verbe, credo aliquid alicui, remettre en dépôt quelque chose à quelqu’un.
            L’analyse que Certeau propose des instances de sens dans la société décrit l’institution scientifique à partir d’un modèle théologique. Tout a sens et rien de ce qui mérite qu’on s’y arrête n’échappe au discours. Tout est justifié. Il y a des experts qui font croire, ce qui, somme toute, n’est que construction à partir de procédures, objets formels et déterminations des conditions de falsification. L’autorité de l’expert fonctionne comme un magistère. Voilà la différence éclatante en entre autonomie et inautonomie chez un sujet en devenir. D’ailleurs à ce propos, le grand sage indien Swami Parajnanpad disait que « la spiritulaité est un synonyme d’indépendance ».
            N’oublions pas, que l’étude des institutions sociales et des autorités est un lieu privilégié de l’analyse de la crédibilité et de ses conditions de possibilité. Elles font croire ; Certeau les appelle les institutions du croire :
 « À titre de première approximation, j’entends par ‘’croyance’’ non l’objet du croire (un dogme, un programme, etc.) mais l’investissement des sujets dans une proposition, l’acte de l’énoncer en la tenant pour vraie — autrement dit, une ‘modalité’ de l’affirmation et non pas son contenu. Or la capacité de croire semble partout en récession dans le champ politique. Elle soutenait le fonctionnement de l’autorité. Depuis Hobbes, la philosophie politique, surtout dans sa tradition anglaise, a considéré cette articulation comme fondamentale. Par ce lien, la politique explicitait son rapport de différence et de continuité avec la religion. Mais la volonté de ‘’ faire croire ’’ dont vit l’institution, fournissait dans les deux cas, un répondant à une quête d’amour et/ou d’identité.[19] »
Partie de la nécessité pour l’institution de faire croire comme expression de son autorité, l’analyse politique du croire se termine par une contestation de l’institution dans sa prétention à maitriser ce qui est à croire.

3 Croire : une pratique de l’autre

Me souvenant de Michel disparu en 1986; l’élément qui me vient à l’esprit est l’importance qu’il attachait à l’altérité, ce qu’elle signifiait pour lui : être prêt à faire une place à l’autre, tel un kaïros, (ce moment approprié) pour saisir ce qui advient au cœur de la rencontre de cet Autre du désir qui n’en finit pas de me déranger - par ses multiples médiations.
À l’école des mystiques, Certeau aménage dans le discours une béance par un phénomène de rature — pas ça — qui interdit au discours de boucler sur lui-même comme savoir définitif, entier, totalisant voire totalitaire. L’ouverture de la fable mystique en constitue l’occurrence la plus connue :
« Ce livre se présente au nom d’une incompétence ». (…) « On se doute bien qu’il ne peut s’agir d’une simple humilité qui serait bien cuistre au moment d’ouvrir un travail dont le premier tome fait plus de quatre cents pages et dont l’auteur est un spécialiste reconnu. La théologie de l’expérience religieuse du judéo-christianisme se construit comme pensée de l’altérité.[20]»
Certeau ne présuppose pas un phénomène unique que l’on nomme la mystique, avec une tradition prétendument commune aux trois monothéismes, qui court du Pseudo-Denys en passant par Maître Eckhart, Nicolas de Cues, Angélus Silésius, Jacob Boehme ou Novalis, et même au-delà. Il ne commence pas par trouver un nom qui dépasse tous ces phénomènes par exemple, ce « sentiment océanique », – nommé par Romain Rolland pour Freud au moment de l’écriture de L’avenir d’une illusion (1927).
« Tel Robinson Crusoé sur la grève de son île, devant “le vestige d’un pied nu empreint sur le sable ˮ, l’historien parcourt les bords de son présent ; il visite ces plages où l’autre apparaît seulement comme une trace de ce qui a passé. Il y installe son industrie. À partir d’empreintes définitivement muettes (ce qui a passé ne reviendra plus, et la voix est à jamais perdue), se fabrique une littérature: elle construit une mise en scène de l’opération qui confronte l’intelligence à cette perte. Ainsi se produit le discours qu’organise une présence manquante.[21] »
      L’homologie[22] ainsi dégagée consiste dans un discours de l’autre, l’hétérologie. Il me faut insister sur l’histoire comme mémoire sociale, telle qu’il l’a mise en pratique dans son œuvre. Ce respect de l’altérité du passé, il l’associait à la nécessité (…) de narrer la confrontation avec l’irréductible étrangeté de ce passé. Ainsi pratiquée, cette relation à l’altérité était au fondement de sa pensée, de ce qu’il nommait souvent “hétérologie ˮ[23]. Non qu’il faille entendre par là une identification de l’autre — Dieu, le passé, ce qui manque, etc. — mais une fonction, ambivalente, comme Autre du désir chez Lacan. Dans un de ses articles sur Certeau intitulé « La passion de l’altérité », Luce Giard dira : «l’histoire implique une relation à l’autre en tant qu’il est l’absent, mais un absent particulier, celui qui a passé comme le dit la langue populaire. »
Car « nous avons tous besoin de déverser notre rivière dans le fleuve du monde. Et nous avons besoin de recevoir l’eau de la rivière d’autrui.[24] »
Certeau ne se reconnaît que par l’altération que lui procure la rencontre avec les diverses formes de l’altérité. À sa manière il dévoile, émerveillé, la parole des mystiques ultimement dans sa Fable mystique : « il se découvre sur la scène de l’autre. Il parle dans cette parole venue d’ailleurs et dont il n’est plus question de savoir si elle est à l’un ou à l’autre.[25] » Cette étrange filiation nous rappelle que sont battues en brèches les oppositions entre le sensible et la raison, l’esprit et la vie, au point d’affirmer que : La vie est entièrement absorbée par l’œuvre et l’œuvre est la vie ou mieux dit, que vie et œuvre ne font qu’un.
C’est de l’intérieur de l’univers mobile de sa pensée qu’on se tient, soit dans le maintien d’une posture de questionnement toujours ouverte, soit dans une résistance à l’autre, face au déploiement des modes d’interprétation qui font survivre une part énigmatique du passé à jamais refermée, cette étrangeté interne à l’histoire de la mystique.
Dans cette guise, l’anthropologie certalienne s'identifie à travers l'observation de ce qui la trahit, la dénature, l'empêche. En engageant la critique de « l’étrangeté de l’autre », Certeau cerne le territoire anthropologique par le biais de son revers négatif, fait de parcellisation, d’imitation dégradée, d’une dispersion en même temps que d’une indifférenciation.
En regard de ses dimensions négatives dont il s'extrait, le travail de méditation créatrice de Certeau opère donc à la fois une focalisation et un rétablissement. Il cadre, il met au point, il confronte, il oppose au réel une colère lucide, une incontournable mélancolie, une résistance certaine, une «extase blanche». Il lui réplique par un autre rythme, une autre vitesse, porteuse d'une « nouvelle donne» de sens et de protestation. C'est ce que le poète René Char appelait «l'énergie disloquante de la poésie». D'où une écriture au lyrisme parfois tendu et qui tire sa force des rapports établis entre poésie, mystique et philosophie. Ayant affaire à la prose de l'histoire, voire aux prosaïsmes où à la prosaïsation la plus affligeante, la diction du mystique se constitue en terrain d'affrontement avec ce qui lui manque.

 

4- Croire et savoir

Quand on parle de savoir, on parle d’objet, c’est-à-dire de production du discours scientifique. Dans le langage médiéval, on distinguait sujet et objet à l’intérieur d’un discours. C’était une manière d’empêcher l’objectivation de Dieu, ainsi, le sens logique du mot sujet s’évapore; le sujet devient ce qui envisage l’objet. Dès lors, la croyance peut être la possession d’une certitude idéologique ou d’un contenu de pensée. 
À l’antipode d’une telle interprétation de la croyance, Certeau construit la rationalisation de la foi de telle sorte qu’en aucun cas Dieu et la foi ne puissent être considérés comme des objets de savoir.[26] Car ce sont des concepts proprement «utopiques». Il perçoit donc chez les mystiques une résistance à l’intellection de la foi quand ils maintiennent l’expression de celle-ci dans le cadre de la confession et de la prière. Il dit dans La Fable mystique :
« De diverses manières, l’énonciation qui détermine les élaborations ‘’spirituelles’’ part du postulat que l’acte de connaître se situe dans le champ de la prière (ou, comme le disait déjà saint Anselme, dans le champ de l’invocatio). L’allocution est pour le savoir sa condition et son commencement. Elle lui donne la formalité d’un ‘‘parler à’’, qui est aussi un ‘‘croire en’’ (credere in). La science mystique interroge donc en même temps la nature de la parole (venue d’une voix), celle de la croyance[27] et celle du savoir. Elle s’arrête là, sur le seuil où la possibilité de parler mesure une possibilité de connaître : comment l’allocution peut-elle donner naissance à un savoir de l’autre?[28] »
Les études historiques et sociologiques sur l’athéisme montrent comment l’athéisme est un fruit du christianisme tel que répertorié briallement par Ernst Bloch dans son grand livre L’athéisme dans le christianisme (1978) et Bernhard Welte avec L’expérience du rien (1989). La théologie contemporaine elle-même s’empare de ce thème, ne comprenant plus l’athée ou le nihilste comme l’adversaire ou celui qui est dans l’erreur. Car c’est de l’intérieur du croire ou du non-croire qu’une expérience de l’absence de Dieu peut être faite. La signification théologique de l’athéisme donne une possibilité inédite pour la compréhension de la croix, car pour le croyant, sur la croix qui meurt, sinon Dieu? Pour Certeau :
La « communication est perçue comme brisée. La crédibilité qui la fonde s’effrite. […] Les textes se produisent à partir de ce qui manque. Certes, la dévotion veut faire croire que les êtres et les livres parlent de Dieu, ou que Dieu y parle, mais leur bavardage ou leur rumeur ne console pas les mystiques duXVIIe siècle, inattentifs à ses bruits et jetés par leur désir dans l’expérience d’un grand silence. La "Lettre" en effet n’est pas la parole qu’ils attendent, ni le monde. Ces messagers […] ‘ne savent me dire ce que je veux’. À cette absence du Verbe, s’oppose une assurance : il doit parler. Une foi est liée à ce qui ne se produit plus. La croyance fonde une expectation.[29] »
Dans un autre registre la réflexion sur le croire, à partir de sa situation institutionnelle, montre qu’il est possible de comprendre premièrement le croire comme pratique et non d’abord comme savoir, mais comme acte de la volonté, et non d’abord comme contenu noématique[30], i.e. comme acte de connaissance.
Aussi, s’il est vrai que l’institution n’est pas réductible à un face à face avec l’individu, mais est aussi une des dimensions de la personne humaine, alors l’analyse souligne qu’il n’est pas concevable de croire tout seul, parce que le croire articule un rapport à l’autre et aux autres par la médiation de l’institution, fut-ce-t-elle l’institution du réel nommée par la psychanalyse.
Le rapport entre croire et vérité est donc ici incontournable, car il résulte d’un «faire faire», parce qu’il faut que l’institution soit crédible. La crise du croyable est une crise des institutions. La vérité n’est pas d’abord affaire d’énoncés, elle est un faire qui garantit la possibilité d’un vivre ensemble et celle des institutions. Le croyable transite mais demeure; comme «révolutions du croyable».
Car pour maintenir ce qu’il faut croire, l’institution risque de le définir de façon de plus en plus technique :
« Le traitement institutionnel du croire épuise peu à peu ce qu’il prétendait gérer. En abusant de sa technicité, il perd sa crédibilité. Il s’isole de ce qui le soutient — une fonction qui fonde des liens sociaux sur l’énoncé d’opérations possibles. C’est la maladie qui menace tous les ‘’magistères’’. [31]» D’ailleurs, «la réflexion sur le croire comme acte n’implique d’aucune manière que le sujet maîtrise ou contrôle ce qu’il croit, puisqu’elle analyse au contraire les manières dont s’inscrit, dans le langage et dans l’action, le rapport du sujet avec ce qui lui échappe — c’est-à-dire avec l’autre, sous des formes inter-relationnelles (la relation à autrui), temporelles (la loi d’une durée) et pragmatiques (la résistance des choses). À cet égard, l’acte de croire apparaît comme une pratique de l’autre. Cette gestion de l’altérité comporte une série d’aspects, dont ceux qui concernent la nature et le fonctionnement de l’institution de sens, et qui circonscrivent, comme ses faubourgs, l’institution particulière qu’est le magistère.[32]» 
Si la modernité s’identifie à l’hégémonie de l’ordre de l’esprit scientifique, ne retenant comme vrai que ce qui est certain et démontré, il lui importe, alors, de parvenir à une énonciation juste pour atteindre des « vérités définitives »… Mais le croire est un autre discours, la fable est sa langue, la mystique est ce qui réinsère le contenu du croire - dans l’utopie - sachant qu’on ne peut jamais l’énoncer « une fois pour toutes ».
Lorsqu’on dit de la modernité qu’elle est l’ère du Cogito, on laisse entendre que le sujet pensant se pose lui-même, en pleine indépendance des autres et de Dieu. La démarche cartésienne en constitue l’archétype, pour ainsi dire. De ce fait, Descartes « se coupe de son affectivité (psukhê) mais aussi de la plus grande partie de son corps[33]
Toutefois, « […] Toute pensée est l’expression langagière partielle et temporaire de ce qui est vécu, et qui dépasse incommensurablement les mots. La pensée n’est pas vaine, cependant, lorsqu’elle est là pour éclairer. Non pas pour créer la réalité ni pour la définir ni même pour l’affirmer. Le « Je pense donc je suis » de Descartes est une sottise. La pensée est une lanterne. Le palais immense et somptueux qu’elle peut éclairer n’a aucune commune mesure avec la minuscule lanterne. La pensée est « un doigt qui désignant la lune », dit le bouddhisme, « malheur à qui confond le doigt et la lune[34] »!
Pourtant, pense-t-on l’homme comme maître et possesseur de la nature comme de lui-même. J’en vois dans la critique heideggerienne de la technique une intéressante description : univocité et instrumentalisation du langage, fascination par la science, évidence d’un progrès de l’humanité. Mais quel progrès, s’il ne vient pas du dedans, de la « voie intérieure » du sujet?
 « Il est frappant que, depuis quatre siècles, les réflexions philosophiques, sociologiques ou anthropologiques de l’aire méditerranéenne ou ‘’latine’’ ont été mobilisées par une interrogation sur l’objet, qui met en cause la vérité de la croyance, alors que la problématique de l’acte de croire s’est développée surtout dans une tradition anglo-saxone. […] Cette géographie épistémologique relève déjà des rapports entre le croire et l’institution, puisqu’elle différencie des régions méridionales où la croyance est essentiellement considérée en fonction de sa définition par des institutions rivales (religieuses, politiques, académiques), et des régions nordiques, articulées par la Réforme, où la conscience croyante paraît circuler à travers les objets susceptibles d’exprimer ou de rassembler des convictions.[35]»
Selon Certeau la croyance est liée au savoir qu’elle suit ou précède, ce qui requiert l’étude des structures relationnelle entre croire et savoir. Il évoque à ce propos une lettre envoyée en juin 1877 par le mathématicien Georg Cantor à Dedekind qui fait alors autorité. Cantor écrit :
« Ce que je vous ai communiqué tout récemment est pour moi-même si inattendu, si nouveau, que je ne pourrai pour ainsi dire pas arriver à une certaine tranquillité d’esprit avant que je n’aie reçu, très honoré ami, votre jugement sur son exactitude. Tant que vous ne m’aurez pas approuvé, je ne puis que dire : Je le vois, mais je ne le crois pas.[36]» […] « Croire à ce titre a une valeur conventionelle.[37] »
Les conventions de groupe délimitant le domaine du croyable sont sujettes aux modifications sociales et historiques. La typologie mise en place par Certeau dessine des transits épistémiques : « Le parcours épistémiques permet d’articuler et de distinguer une cohésion sociale d’une part, du coté du « reçu », et une cohérence logique d’autre part, du coté du « vu ».[38] » Ici, il ne s’agit pas d’opposer croyance et science, mais au contraire, de montrer leur constante articulation, y compris dans leurs déplacements.
Le « cru » est lié à ce qui est reçu et les énoncés reçus tiennent lieu d’institution, ce qu’Aristote qualifie d’endoxa, l’admis, l’accepté que j’indiquais plus tôt. L’institution sécrète donc les portes-parole de ce qui est tenu comme admis. Elle tient place de l’autre, organisant le croire nécessaire à produire des pratiquants. Mais par un rôle, en premier lieu positif, qui est une fonction autorisante :
« Ce rôle joué par l’institution qu’est le reçu, je le qualifie de poétique[39]» dit Certeau – dans article de 1983 - qui discerne cette dimension dans les trois formes de rapports à l’autre dans le croire. 1. Le «on dit» qui autorise le «je dis»; 2. le «on dit» qui ouvre la possibilité d’un savoir et enfin, 3.l’indétermination du «on dit» qui suscite un sens incomplètement circonscrit, polysémique et instaurateur d’hypothèses multiples.
« Sous [sa] forme poétique, la croyance conjugue les deux postulats qui la définissent, mais dont elle ne supporte pas la tension : d’une part, il y a de l’autre, et, d’autre part, il doit y avoir du sens. Elle reconnaît (dans toutes les acceptions du terme) des régions qui ne sont pas appropriables (elles sont ‘‘autres’’ ), mais doivent avoir des liens avec le savoir acquis (çà doit avoir du sens).[40]»
Autrement, comment souligner l’impossibilité de comprendre le croire comme une faiblesse (Cf. Paul IIe Co, 12.). Le croire, quand bien même il est réduit à un énoncé de croyance, caractérise un mode de connaissance : celui de la relation à l’altérité de l’autre. Ce qui est cru n’est pas à portée de la main. Distinguer le croire du savoir, c’est reconnaître la nourriture élémentaire de l’altérité qui fait qu’il y a toujours de l’Autre quand je dis « Je ».
L’insaisissabilité de l’acte de croire indique vers sa dimension poétique, comme un «acte de faire» qui invente le quotidien. Le croire est marqué par la dépossession, cette impossible maîtrise du savoir; non seulement parce qu’il y a la contingence du devenir mais aussi et surtout parce que croire est la condition de possibilité de cette démaîtrise du supposé savoir.
 « Se poser la question : ‘‘est-ce que je crois?’’, c’est sortir déjà du champ de la croyance et la tenir pour un objet intellectuel indépendant de l’acte qui l’affirme comme une relation. La croyance n’est plus qu’un dire lorsqu’elle cesse d’être un engagement relationnel, c’est-à-dire lorsqu’elle cesse d’être une croyance.[41]»
Cette dernière formule manifeste l’impossibilité d’une distinction entre la croyance et le croire : « la croyance […] cesse d’être une croyance ». En effet, il est illusoire de penser pouvoir se déterminer par rapport à des croyances qui ne seraient plus que vestiges, parce qu’il n’est pas possible de ne pas croire. L’illusion que l’on pourrait ne pas croire est concomitante de la croyance absolue dans le savoir. Le savoir est la mythologie de la modernité parce que la modernité dissocie ce qui est cru de l’acte de croire. «Cette distinction même […] est devenue notre pratique croyante contemporaine.[42]»
Le traitement institutionnel des croyances relève donc d’une nécessité fonctionnelle. Il est indispensable comme tenant-lieu. Cependant, la logique portée par toute institution a tendance à s’autonomiser de la poétique dont elle est porteuse,  à ce moment : « Le danger de ce travail usinier, c’est son propre excès.[43] » Cette prévention vise à affaiblir les institutions du croire pour qu’elles n’épuisent ou n’excluent ce qu’elles prétendaient gérer afin de leur rappeler leur fonction poétique et éviter les dérapages liés à une simple reproduction de la machine institutionnelle pour elle-même.[44]
4- Conclusion : Passer c’est demeurer
Il ne suffit pas, si bien qu’on s’y trouve, d’être dans un lieu ou dans le monde : il faut l’habiter. Pour Certeau, cela veut dire : trouver le sens de l’esprit de notre époque. C’est aussi accepter irrévocablement d’«être-vers-la-mort» jusqu’à notre ultime «passage» sur l’autre rive.
Habiter un lieu de transit, cela donnerait à penser que le « dire mystique » tout comme le « dire poétique » est selon le poète Paul Celan : «cette parole qui recueille l’infini là où n’arrivent que du mortel et du pour rien[45]». Cette distance inhérente au revenant, qui revient de l’indétermination, signe du chemin, acheminement provenant du plus loin de l’inimaginable, de l’infini qui dit « du mortel et du pour rien » comme rencontre avec l’absurde de la condition humaine.
En conséquence, le « demeurer » opère une mortification, sorte de deuil d’une distance prise à l’égard de soi et de l’autre. On peut donc comprendre que le sujet du manque permet de reconnaître la relation d’une détermination inhérente à une poétique du déclin de la religion qui prévient contre des réenchantements trop faciles. C’est, dit autrement, reconnaître l’universelle condition du sujet en proie à ses propres illusions.
Alors que mes propos tirent à leur fin, il n’est pas de trop de se demander ce qui nous reste de Certeau : le rappel de l’influence du Zeitgeist et ses conséquences sur l’existence de chacun, l’éclipse de Dieu, la désertification de l’institution ecclesiale, l’utopie de la foi, l’expérience du rien, le rapport oublié entre désir et parole du manque jusque dans le déclin du sens qui parce qu’il est en déclin est un deuil du réel toujours à faire.
Le manque tourne notre attention vers une aporie qui conduit (inconsciemment?) Certeau - dans les entrelacs d’une technique et d’un récit littéraire, d’une production et d’une écriture, d’une « science » et d’une «fiction », il raconte ses voyages au pays des absents, les rencontres qu’il y a faites et comment il en a été transformé, altéré au sens destinal.
Pour lui, on l’a vu, cette aporie prend la forme d’une pulsion métabolisée comme négation, formant une résistante-survivance à la montée de la folklorisation de la religion et la perte de sens dans l’institution en laquelle il n’est demeuré qu’en passant – et dont l’expérience imprègne tout son être-écrivant du désir dont figure l’impossible objet.
Un « sort » qu’il voulait conjurer, mais dont le spectre du déclin de Dieu grave symboliquement le creusement du temps dans le corps « passant » qu’il fut – jusqu’au moment où la maladie termina, trop tôt, son transit. Cette aporie prit donc la forme d’une incapacité grandissante à «faire le deuil de ses origines », comme il le dit dans La faiblesse de croire :
« A présent, semblable à ces ruines majestueuses d’où l’on tire des pierres pour construire d’autres édifices, le christianisme est devenu pour nos sociétés le fournisseur d’un vocabulaire, d’un trésor de symboles, de signes et de pratiques réemployés ailleurs. Chacun en use à sa manière, sans que l’autorité ecclésiale puisse en gérer la distribution ou en définir à son gré la valeur de sens. La société y puise pour mettre en scène le religieux sur le grand théâtre des mass media ou pour composer un discours rassurant et général sur les « valeurs ». Des individus, des groupes empruntent des « matériaux chrétiens » qu’ils articulent à leur façon, faisant encore jouer des habitudes chrétiennes sans pour autant se sentir tenus d’en assumer l’entier sens chrétien.[46]»
Certeau avait cru à la réconciliation avec la réalité de son temps par l’usage des « arts de faire avec » le monde, mais il n’est arrivé qu’à l’impasse épistémique qui fut la sienne - croire et faire croire, ce qui, encore aujourd’hui, demeure du registre de l’incroyable. À la démythisation du consistant (la consolation), succède maintenant la signification de l’inconsistant (le manque). Sur cette signification, l’on peut vivre non seulement la charte de l’expérience, mais aussi celle de la foi.
Reste la poussière, celle qui, dans la vision de l’existence offerte par la modernité vouée à la performativité et au capital qui sont les bases de l’anéantissement de la dignité humaine. La vérité nue est une métaphore qui a un sens seulement quand elle n’est plus nue, c’est-à-dire quand elle est cachée. Ainsi l’aventure d’histoire de Michel de Certeau qui informa un clivage qui unit, celui de l’expérience d’être habité par un excédent en lequel on se tient.
Pour bien entrer dans cette expérience, il faut la comprendre comme un «mouvement» où trouver c’est chercher davantage. Le discernement est lié en effet à l’extension du progrès de la conscience à une lecture toujours plus spirituelle du monde et des relations. Croire et transit tendent donc à s’identifier chez de Certeau, où il est demandé d’apprendre, dans les rencontres avec autrui, à chercher sans cesse «l’Autre qui va toujours plus loin» comme disait Rainer Maria Rilke à propos de Jésus dans l’épisode des disciples d’Emmaüs au chapitre X de l’évangile de Luc.
Ainsi, bon comme mal croyants sont-ils sans cesse convoqués à «l’hérésie du présent» si l’on ne veut pas d’un enfermement muséographique de la foi, d’une folklorisation. La fidélité à la tradition exige l’invention qui a déjà permis tant de manières d’être fidèle à l’événement fondateur.
« La tradition ne peut qu’être morte si elle reste intacte, si une invention ne la compromet pas en lui rendant la vie, si elle n’est pas changée par un acte qui la recrée ; mais chaque fois elle renaît des questions et des urgences qui font irruption.[47]»
Je ne peux résister au jeu de mots plus longtemps, tant il rend la pensée de Certeau. Le «pas sans», c’est le «passant», l’affirmation de l’anthropologie du transit. « Et lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin » (Lc 4,30). Le redoublement de la négation exprime l’impossible en deux sens. Il n’est pas possible de le désigner, ce passant, parce qu’il passe, y compris les mots. Il n’est pas possible parce qu’il est l’autre, celui de qui seul le salut, impossible, peut-être reçu. « Pour les hommes, c’est impossible » (Mt 19,26), mais pour Dieu… Il circule comme la vérité. Il est en transit. Tout ce vocabulaire du voyage et du pélerinage, les mystiques l’ont parcouru.
Le vocabulaire du manque que Certeau ne cessa d’employer, laisse une place béante et interdit la fermeture totalisante. C’est pour ça que : Cette passion de l’autre n’est pas une nature primitive à retrouver, elle ne s’ajoute pas non plus comme une force de plus, ou un vêtement, à nos compétences et à nos acquis ; c’est une fragilité qui dépouille nos solidités et introduit dans nos forces la faiblesse de croire qui nous rends la force d’une lucidité comme un risque de s’exposer […] à l’autre.[48]
« Vers Dieu je ne puis aller nu, mais je dois être dévêtu.[49]» disait Silesius. Et Certeau quant à lui : « Ne peut s’arrêter de marcher et avec la certitude de ce qui lui manque, sait de chaque lieu et de chaque objet, que ce n’est pas ça, qu’on ne peut résider ici et se contenter de cela. Le désir crée un excès. Il excède, passe et perd les lieux, il fait aller plus loin, ailleurs. Il n’habite nulle part, il est habité[50]»
Certeau aura porté la part d’ombre de la modernité, ce qu’elle a refoulé au fil du temps, sa tradition orale évacuée par le triomphe de l’écriture. Cette blessure qui se traduit par une marque sur le corps n’est pas sans évoquer le héros antique, Oedipe, mais aussi le héros biblique, Jacob marqué lui aussi par sa nuit de combat avec l’ange : « Le fait d’être «blessé» est la signature illisible du manquant sur le corps. Ce qui ouvre l’anthropologie sur une poétique du corps, ce « corps informé  (il reçoit la forme) de ce qui lui arrive ainsi bien avant que l’intelligence en ait connaissance[51]. »
Après ce braconnage dans la contrée spirituelle de de Certeau, on s’est rendu, mine de rien, jusqu’en cet ultime hors lieu de son itinéraire, cet «heureux naufrage ». Car si le philosophe interroge ce mystère du devenir. Le mystique, quant à lui, cédant à « l’océanique avancée du voir, à l’omnipotence solaire de la mer », ose un pas de plus, car il est conscient « qu’il ne demeure qu’en passant. »



Éléments bibliographiques de Michel  de Certeau

- Mémorial du Bienheureux Pierre Favre, trad. et commenté par M. de Certeau, Paris, Desclée de Brouwer, 1960.
- "Mystique" au XVIIe siècle. Le problème du langage "mystique". in L'homme devant Dieu. Mélanges offerts au Père Henri de Lubac. Paris, Aubier, 1964.
- J.-J. Surin, Correspondance, (éd. de Certeau), Paris, DDB, (coll. Bibliothèque européenne), 1966.
- L’étranger ou l’union dans la différence, Paris, DDB, 1969.
- La Possession de Loudun, (éd. de Certeau), Paris, Julliard, (Collection Archives), 1970.
- L'Absent de l'histoire, Tours, Mame, 1973.
- Le Christianisme éclaté, Paris, Seuil, 1974.
- « Mystique » in Encyclopædia Universalis, 1968-1975, pp. 1031-1036.
- « Les révolutions du ‘croyable’ » in La culture au pluriel, Paris, Chr. Bourgois, 1974. L’ensemble du livre ne cesse d’utiliser le vocabulaire du croire, p. 33, 35, 40, 57, 74, 147, etc.
 - « Du système religieux à l’éthique des Lumières (XVIe et XVIIe siècles) : la formalité des principes» in L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 153-212.
- « Le corps folié : Mystique et folie aux XVIe et XVIIe siècles » in A. Verdiglione, La folie dans la psychanalyse, Paris, Payot, 1977, pp. 189-203.
 - « Une pratique sociale de la différence : croire », texte d’un colloque de 1979 (Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe siècle, École française de Rome, 1981, n° 303, p. 363-383)
- « Folie du nom et mystique du sujet : Surin » in J. Kristéva, Folle vérité, Seuil, 1979, pp. 274-304.
- « La lecture absolue (Théorie et pratique des mystiques chrétiens : XVIe-XVIIesiècles), in L. Dällenbach, et J. Ricardou, (Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle), Problèmes actuels de la lecture, Paris, Clancier-Guénaud, coll. « Bibliothèque de Signes », 1982, p. 65-80. 
- L'invention du quotidien, t. I, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980. Voir en particulier la cinquième partie de l’ouvrage intitulée : « Manières de croire », pp. 299-340.
- La fable mystique  (XVIe-XVIIe siècle), t. I, Paris, Gallimard, 1982.
- La fable mystique  (XVIe-XVIIe siècle), t. II, Paris, Gallimard, 2013.
- « L’institution du croire, note de travail », (RSR, 1983 n° 343, pp. 61-80), repris dans «Le croyable. Préliminaires à une anthropologie des croyances » (Exigences et perspectives, Mélanges Greimas,], Amsterdam, Benjamins, 1985, n° 369, p. 689-707)
- « Historicités Mystiques » in RSR, 1985, n° 73, pp. 325-354.
- Histoire et psychanalyse entre science et fiction, (éd. Luce Giard), Paris, Gallimard, 1987.
- La faiblesse de croire, (éd. Luce Giard), Paris, Seuil, 1987.
- Le lieu de l’autre. Histoire religieuse et mystique, (éd. Luce Giard), Paris, Gallimard-Seuil, ÉHÉSS, 2005. 

Sur de Certeau
François Dosse, Michel de Certeau, Le marcheur blessé, Paris, La Découverte, 2002.

­­_______,           « L'art du détournement. Michel de Certeau entre stratégies et  tactiques » - Esprit, Mars, 2002, pp. 207-222.

Chr. Delacroix & F. Dosse (dir.), Michel de Certeau, Les chemins de l'histoire, Paris, Complexe, 2002.
Mireille Cifali, Entretien, mystique et psychanalyse In : Espaces Temps, 80-81, 2002. 156-175.
Claude Geffré (dir), Michel de Certeau et la différence chrétienne, Paris, Cerf, 1991.
Luce Giard (dir.), Le voyage mystique. Michel de Certeau, Recherches de sciences religieuses, Paris, 1988.
Luce Giard (dir.), Histoire, mystique et politique. Michel de Certeau, Grenoble, Jérôme Millon, 1991.
Luce Giard, « Feux persistants, entretien sur Michel de Certeau », Esprit n° 219 (1996), p. 131-154.
Luce Giard et alii., Actualités de Michel de Certeau, Esprit, Nov. 2002, pp.92-125.
Histoire et psychanalyse : autour de Michel de Certeau, Revue Espace Temps, 80-81, septembre 2002.
R. Terdiman, « Une mémoire d’éveilleur », Michel de Certeau, Cahiers pour un temps, Paris, Centre G. Pompidou, 1987, p. 91-96.
Laura Willett, « Traverses : une interview avec Michel de Certeau » in Paroles gelées, UCLA, French Studies, Vol. 1, 1983, pp. 1-15, en ligne : http://escholarship.org/uc/item/7ft1g1ms#page-1




[1] Pierre-Jean Labarrière, "L'homme, à nouveau", Études, 1997.
[2] Jean-André Nisole, Milarépa – un cheminement, Cahiers Cavalli di San Marco no 3, 2014, p.4.
[3] Shaoul/Paul, Première Lettre aux Corinthiens, 13.2.              
[4] Cf. François Dosse, Michel de Certeau, Le marcheur blessé, 2002.

[5] Revue Christus, N°17, Janvier 1958.
[6] Cf. La possession de Loudun, (Éd. M. de Certeau), [Coll., Archives], Paris, Julliard, 1970.
[7] J.-J. Surin, Correspondance, (Éd. De Certeau), Paris, DDB, coll. Bibliothèque européenne, 1966, p. 1683.
[8] Jules Michelet, “L’Héroïsme de l’esprit” (1869, projet de Préface à l’Histoire de France), in L’Arc, no 52, 1973, p. 5, 7 et 8.
[9] M. de Certeau, « Une anthropologie du geste : Marcel Jousse », Études, Mai 1970, p, 772.
[10] Ibid., p.771.
[11] Louis Panier, « Pour une anthropologie du croire » in Claude Geffré (dir), Michel de Certeau et la différence chrétienne, Paris, Cerf, 1991.
[12] François Dosse, Michel de Certeau, Le marcheur blessé, Paris, La Découverte, 2002, p. 580.
[13] Certeau, La faiblesse de croire, Paris, Seuil, 1987, p. 293 et 295.
[14] Tel qu’analysé dans le chapitre central du tome deux de La Fable mystique portant sur le voir de foi dans Le regard : Nicolas de Cues, pp. 51-122.
[15] Il fut aussi professeur à l'Institut catholique de Paris, enseignant à l'université de Paris-VII, Full Professor à l'Université de Californie... nombreux sont ceux qui l'auront croisé à divers titres. Des rencontres qui ne laissaient personne indifférent comme en témoignent deux hommages publiés dans les journaux Libération et Le Monde lors de la publication de plusieurs ouvrages consacrés à Michel de Certeau en 2002.
[16] Voir « Feux persistants, entretien sur Michel de Certeau », Esprit n° 219 (1996), p. 131-154. Les pages 150-154 font allusion à quelques éléments biographiques de M. de Certeau et proposent une articulation du croire religieux au croire plus généralement compris.
[17] Ibid.
[18] Cf. Certeau, « Une pratique sociale de la différence : croire » (1981), p. 366.
[20] Certeau, La Fable mystique, 1982, p. 9.
[22] L’analogue voire le même.
[23] Cf. R. Terdiman, « Une mémoire d’éveilleur », Michel de Certeau, Cahiers pour un temps, Centre G. Pompidou, Paris 1987, p. 91-96.
[24] J.A. Nisole, Rencontres d’un occidental avec le zen, Montréal, Liber, 2006, p. 19.
[25] Michel de Certeau, La fable mystique, t.I, Paris, Gallimard, 1982, p. 320.
[26] Le travail de Michel Corbin, tant dans ses études sur Anselme que sur Thomas d’Aquin, développe le même genre de réflexion. Chez Certeau et Corbin, l’influence de Heidegger est évidente : faire de la théologie comme on fait des sciences exactes, voilà une expression caractéristique de l’ontothéologie.
[27] Attention d’une oreille, fides ex auditu.
[28] Op. cit.,  p. 220-221
[29] La fable mystique, op.cit., p. 217-218.
[30] Qui se rapporte au noème, à l'acte de connaissance en tant que résultat. 
[31]Le croyable. Préliminaires à une anthropologie des croyances (1985), p. 704, in Exigences et perspectives, Mélanges Greimas,] Amsterdam, Benjamins, 1985, n° 369, p. 689-707.  
[32] Certeau, « L’institution du croire », (1983), p. 62
[33] J.-A. Nisole, Rencontres d’un Occidental avec le zen, Montréal, Liber, 2006, p. 40.
[34] J.-A. Nisole, Ibid., p. 19.
[35] Certeau, « L’institution du croire », 1983, p. 61-62.
[37] Ibid.
[38] Louis Panier, « Pour une anthropologie du croire » in Claude Geffré, op. cit., p.41.
[39] Certeau, «L’institution du croire», RSR, art. cit., p. 68.
[40] Certeau, Le croyable : Préliminaire à une anthropologie des croyances, 1985, p. 700-701.
[41] Ibid., p. 368.
[42] Ibid.
[43] Ibid., p.79.
[44] Cf. F. Dosse, op. cit., pp. 590-595.
[45] Paul Celan, Le Méridien et autres proses, (trad. Jean Launay), Paris, Seuil, 2002, p.81.
[46] La faiblesse de croire, p. 299, 1986.
[47] Ibid., p. 69.
[48] La faiblesse de croire, op.cit., p. 305
[49] Angelus Silesius, Le pèlerin chérubinique, I, 297, cité in La faiblesse de croire, p. 314.
[50] La fable mystique, op.cit., t. I,  p. 411.
[51] Ibid.,  p. 408.

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