28 mai 2010

La nature du sujet



Nous distinguons dans la nature, un statut autre que celui de la santé. La nature serait peut-être davantage à penser du côté de la maladie, de la pathologie,  de la métamorphose. Comme dans le sang les globules et dans l’homme l’instinct d’animalité, c’est la loi de la nature qui règne. Tout cela sous une même égide exposant la santé au cœur même de la maladie. Car il y a un processus de décomposition de plus en plus transparent dans cette époque de guerre et d’aberrations politiques. C’est ainsi que l’on peut observer, au grand dam de certains, que la Nature est moins corrélative de la santé qu’on ne pourrait l’imaginer. Et c’est cela même qui est fascinant ! Tout aussi fascinant que de regarder dans un microscope et d’y voir une particule se subdiviser et chercher à se nier. C’est ce qui se passe dans les relations à l’autre, à mon voisin, à celui qui n’est pas de ma communauté. 

 
L’altérité dans sa constitution affecte la totalité du sujet. Elle est dépeinte sur les rivages de la mélancolie : la décomposition du sujet, ses symptômes, sa maladie, son clivage fondamental reconnu comme jamais depuis Freud, ce grand fabricant de mythes pour son temps, pour notre temps. 

 
Dès lors, nous
devons reconnaître qu’irrémédiablement ce qui nous entoure est  de temps à autre submergé par le "pathos" et que chaque sujet est soi-même, à sa manière, son propre symptôme, sa propre maladie dans ce qui le caractérise en tant que sujet de désir Même et surtout, s’il faut déplorer qu’on se refuse à l’admettre. Car l’idée même de la maladie est insupportable pour chacun.
 

Le temps d’indigence en lequel s’est tenu Paul Celan (1920-1970) est exemplaire en ce qu’il indique que la maladie est peut-être pour l’homme un moyen de se trouver, parce qu’elle érode et sculpte le sujet de l’intérieur. La maladie, dans cette perspective, serait révélatrice de la sensibilité, de cette sensibilité qui ne lâcherait pas en chemin la pensée comme en témoigne les recueils Renverse du souffle (1968), Contrainte de lumière (1970), Part de neige (1971), et Enceintes du temps (1976) du poète spéculatif.

Il est d’évidence, qu’observant et tentant d’interpréter la singularité de la maladie de notre temps, on se trouve confronté à la contingence – en laquelle Celan s’est tenu lui-même – ,  cette mélancolie ultime dont la parenté pas si lointaine avec la pulsion de mort l’éleva à une telle intensité spirituelle, qu'elle indique vers une manière d'être-au-monde. Cela pour dire que dans sa poétique existentielle, la négativité a un rôle similaire que dans le procès dialectique de la conscience qu'on retrouve chez un Hegel.


Un être humain peu instruit et malade a accès à des choses auxquelles il n’aurait ni pensé ni accédé autrement. Cela concerne chacun. Plus la maladie est intense, plus elle individualise et permet à l’humain d’en tirer le meilleur pour sa vie, pour son cheminement. Elle nourrit et développe son esprit, son savoir, sa poésie, sa philosophie.

 
    Le problème terminal de notre époque est d’assumer son temps, de s’assumer en son temps – au sein duquel « on ne peut pas être meilleur que son temps », mais simplement «être son temps au mieux » pour paraphraser Hegel dans un aphorisme de Iéna.

    C’est dire, avec moins de concision, assumer sa répulsion intérieure pour la médiocrité de l’extériorité, de l’altérité, pour l’idiotie ambiante. Ne serait-ce pas pratiquer le renoncement à soi-même, renoncer aux idéologies périmées mais sournoisement re-surgissantes, renoncer à tout espoir. Renoncer aux philosophies qui manquent la cible du souci en regard de celui qui les pense : le sujet de désir. Et renoncer aux dogmatismes qui enferment dans l’aliénation pour suivre un autre chemin. Renoncer à tout n‘est-ce pas là une question de disposition spirituelle (Geistlichkeit) : concentration de l’esprit en lui-même, isolement face à l’absurdum de Chronos, distance nécessaire, face à la monotonie de l’ennui, à l’écroulement de l’utopie, à l’acceptation de l’idiotie. Peut-être que ces observations sur le Zeitgeist i.e. sur l’esprit du temps et le sujet qui y passe ne sont-elles  pas corrélatives de la configuration essentielle de l’époque qui fut celle de Celan et, tout compte fait, de la notre époque?

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