4 novembre 2015

L'autonomie entre incertitude et discernement

Questions introductives


- Comment au centre de la décision éthique, éviter le problème de l'incertitude ? Car, nous sommes toujours susceptibles d’être étreints par le doute voire par l'angoisse qui génèrent l'incontournable incertitude.

Quel est le rôle du jugement en éthique clinique ? « La recherche d'un juste 
rapport à l'incertitude ?» La démarche éthique ne consiste pas à débouter les certitudes, même provisoires, ou à refuser les incertitudes, mais à entretenir une démarche apte à guider les décisions i.e. un esprit qui a toujours dans sa réflexion « l’enjeu éthique » pour le cas observé.
À travers les situations dilemmatiques vécues par des soignants qui nous sont soumises, on envisage ces situations « comme  des affrontements de difficiles incertitudes et tentant de se créer un chemin à la recherche de certitudes capables de guider leurs décision». (Malherbe, 1996) On doit envisager de montrer la pertinence d'articuler «différentes façons de faire de l'éthique ». 
- Cela consiste principalement à tenir compte des convictions de chacun, en aiguisant leur sens des responsabilités, en participant à une discussion critique et en interrogeant la fonction transgressive. La lettre de la loi au nom de l'esprit de la loi. (Malherbe, 1996) 

Dans l'examen d'un cas rappelons qu'il est d'importance de :
1- Considérer les convictions qui sont la base de tout, le premier mot mais pas le dernier, à moins qu'on se trouve dans une société fermée et homogène en comprenant qu'une conviction
est un principe, une idée qui a un caractère fondamentale pour quelqu'un.
2- Souligner le souci d'etre à la hauteur de nos responsabilités nous dispose à la discussion critique et nuancée.
3- Ce souci entraine quelquefois la conscience morale jusqu'à son ultime "privilège" qui consiste à transgresser.


Puisque la transgression est l'ultime possible, la discussion éthique demeure le chemin le plus usuel pour trouver une position à l'égard de l'incertitude. Je propose à la suite de Malherbe (1996) de revisiter les sept étapes ou les recommandations profitables à la discussion éthique: 

1- Intégrité des interlocuteurs
2- Qu'on ne les manipule pas
3- Qu'on ne leur mente pas 
4- Chaque fois qu'un conflit apparaît entre des convictions antagonistes, il convient de 
chercher à les dépasser en direction de la plus grande universalité possible (vers la fin) 
5- Construire un consensus 
6-  Si le consensus n'est pas possible, se mettre d'accord sur le point de désaccord 
7 - Proposer un compromis. 

Ces sept recommandations permettent de réduire l'incertitude face à une décision  difficile. Or, fait à remarquer, «il demeure toujours une incertitude résiduelle qui semble liée à la condition humaine elle-même». 

Notons dès lors que cette démarche se démarque de la procédure démocratique de la règle de la majorité. Cependant, elle opère bien en éthique clinique, notamment dans des situations où 
l'accord de tous est nécessaire pour la pratique. 
Dans l’incertitude une éthique demeure, celle qui cherche « à assumer positivement l'incertitude inhérente à notre condition humaine ». (Malherbe, 1996) Une éthique, en somme, qui ne vise pas à juger pour condamner ou à solidifier un axe porteur de vérités, mais qui se porte vers la compréhension de l'insoutenable lourdeur d'une fragile décision. 

Autonomie et consentement  

L’obligation de respecter l’autonomie d’autrui a, depuis lors, débordé largement 
le champ de la clinique. Depuis l’introduction du principe de respect de 
l’autonomie en éthique médicale,le respect  de la volonté du patient a occupé 
une place déterminante  dans la prisede décision. Face aux difficultés apparues 
lors de l’application  de ce principe en  médecine clinique, Bruce Miller - 
a proposé au débutdes années 1980 -  de clarifier la signification de cette notion 
dans le champ de la pratique médicale. Il a montré que la notion d’autonomie
peut être comprise en quatre sens qui méritent d’être explorés en situation 
de tension éthique. 
 
« On peut choisir moralement n’importe quoi du moment que cela me 
convient et que cela ne lèse pas les autres ». 

Les quatre sens de l’autonomie 

- Selon Miller (1981), le concept d’autonomie peut être analysé sous quatre angles : l’autonomie comme action libre , l’autonomie comme authenticité, l’autonomie comme délibération «pratique », et l’autonomie comme réflexion morale. 
1- L’autonomie comme action libre : signifie que l’action répond à une intention qui s’exprime par une volonté s’exerçant sans contrainte ni coercition. Elle reflète la capacité d’autodétermination du patient qui s’exprime dans le consentement libre et éclairé. 
2- L’autonomie comme authenticité: signifie que l’action est conforme aux valeurs que le patient exprime habituellement au cours de sa vie, et qu’elle est en accord avec son projet de vie. A titre d’exemple, la décision d’un témoin de Jehova d’accepter une transfusion sanguine pourrait être considérée comme une action libre, mais son authenticité devrait être évaluée.
3- L’autonomie comme délibération « pratique » : signifie que le patient a montré qu’il a examiné toutes les options relatives à sa situation et a procédé à une délibération à l’issue de laquelle il propose une argumentation rationnelle en faveur d’une option plutôt que d’une autre. 
4- L’autonomie comme réflexion éthique signifie que le patient est à même de dire sur quelles valeurs il fonde sa décision et d’affirmer qu’il accepte ces valeurs ainsi que les conséquences qui en découlent.

-L’attention du soignant à ces quatre sphères de l’autonomie - en situation de prise de décision clinique - est essentielle pourquoi ?

-Car elle permet d’aboutir à un jugement éthique circonstancié face à l’expression de la volonté du patient et offre ainsi la possibilité d’aborder les conflits entre autonomie et bienfaisance de manière mieux adaptée à la réalité clinique. 

-Il en découle l’importance de porter une attention particulière à la nature du dialogue entre le soignant et le patient et, plus particulièrement, à la manière dont l’information est recueillie et donnée au patient. 
Un cas clinique


Il apparaît que la demande du patient émane d’une décision libre : nous savons par la note trouvée avec le patient qu’il refuse toute prise en charge.

La décision n’a apparemment pas été prise sous contrainte. Cependant, que savons-nous sur cette déclaration d’intention ? 

Pouvons-nous dire que le patient avait sa pleine capacité de discernement au moment de la rédaction de cette note ? Les réponses à ces questions, au moment de l’évaluation du patient ne sont pas encore claires et le patient n’est pas capable de nous répondre. 

Ainsi, même si sa décision semble à première vue libre, c’est-à-dire l’expression de sa volonté, est-elle authentique, et est-elle issue d’une délibération ainsi que d’une réflexion éthique ?


Au plan de l’authenticité, les informations à disposition semblent signifier que son désir de mort « n’est pas en accord » avec ses valeurs habituelles, mais que sa volonté de mettre fin à ses jours est plutôt apparue à l’issue d’un épisode de stress et d’angoisse qui n’a pas pu être pris en charge adéquatement. 

- Par ailleurs, il est possible d’interpréter son acte comme n’étant probablement pas issu d’une délibération : peut-on dire que sa décision est basée sur des informations complètes et adéquates ainsi que sur le choix d’une option? 

-Enfin, au plan de la réflexion éthique, il n’a probablement pas eu le temps d’évaluer rationnellement les options et de décider, après réflexion, de l’option la plus en accord avec son plan de vie, ses souhaits et ses valeurs. 


-Ainsi, en nous basant sur les quatre sens de l’autonomie de Miller, nous pouvons considérer que la tentative de suicide du patient, et sa demande de ne pas être réanimé, même si elle semble un acte volontaire, ne semble pas faire preuve d’authenticité, et encore moins issue d’une délibération. 

-Pour attester de ces catégories qui définissent l’autonomie dans le champ de la pratique clinique, l’équipe médicale doit s’enquérir auprès du patient et de son entourage de ses réelles motivations ainsi que de la nature de sa souffrance au moment de son arrivée aux urgences. 

-Dans cette perspective, il pourrait être justifié de poursuivre les mesures de réanimation et d’instaurer un traitement en considérant qu’il existe à ce moment-là encore des incertitudes importantes concernant l’expression de l’autonomie du patient. 


-Cette attitude est justifiée par la nécessité de clarifier toutes les dimensions de son autonomie et de les interpréter à leur juste mesure. 

-Dans cette situation précise, un traitement pourrait créer les conditions nécessaires pour discuter en profondeur des préférences du patient, et de tenter de comprendre si la tentative de suicide était une réaction fortement anxieuse à l’information qu’il venait de recevoir ou un manque de réflexion? 

-L’équipe médicale de l’urgence a décidé de traiter le patient pour sa tentative de suicide avec un lavage gastrique et une hydratation intraveineuse. Ce dernier a bien évolué et a été évalué le lendemain. 

-Le patient a précisé que sa tentative était liée à l’angoisse de savoir qu’il était atteint de la maladie de Huntington et qu’après avoir appris la nouvelle, il s’est souvenu avec beaucoup d’émotions du décès de sa mère, ce qui l’a fortement angoissé. Au moment de sa décision, il était seul et n’a pas osé demander de l’aide. Il a aussi exprimé à son psychiatre, qu’il serait prêt à vivre avec sa maladie, mais qu’il ne voudrait pas faire souffrir ses proches. 


Pour conclure 

-     Il m’apparaît que le respect de l’autonomie basé essentiellement sur l’expression de la volonté du patient ne suffit-il  à justifier un arrêt de traitement sans que cette prise de décision ne soit accompagnée d’une réflexion critique ? 

En accord avec cet auteur, il nous paraît essentiel de collecter tous les éléments nécessaires à une compréhension adéquate de l’autonomie dans chaque situation singulière. 

 Ainsi, respecter l’autonomie ne signifie pas seulement respecter le fait que le patient ait refusé un traitement ou une procédure, mais également comprendre les raisons de son refus, telles qu’ils les expriment et les justifient, ainsi que les valeurs sur lesquelles sa décision est fondée et assumée. 

- La conjonction de deux volontés dans une même recherche du mieux-être du patient. Dès lors, la question, si controversée, de la « vérité » à dire au patient ne se pose plus. C’est plutôt la manière de dire qui devient problématique, surtout en cas de maladie mortelle.


Comme l’a écrit Daniel Callahan au début des années 80, « l’autonomie est un principe éthique certes important mais qui ne doit pas devenir une obsession pour le soignant. » 

- Dans certaines situations cliniques, il est essentiel d’évaluer de manière plus approfondie et critique la demande et la volonté du patient. 

- Cette posture réflexive atteste d’une attitude morale responsable, dans la mesure où la maladie peut affecter l’une ou l’autre des sphères de l’autonomie et que la visée éthique du soin – en situation d’incertitude – consiste avant tout à restaurer l’autonomie blessée du patient pour lui permettre de retrouver un sens à son existence. C’est probablement la manière la plus authentique pour un soignant de respecter la dignité de la personne malade qui lui confie son existence.  


Trois Implications pratiques

- Le devoir de respect de l’autonomie mérite d’être compris de manière plus approfondie, que le devoir de respect de la volonté du patient. 

- L’autonomie peut être comprise sous quatre angles : l’action libre, l’authenticité, la délibération pratique et la réflexion morale.

-- Respecter l’autonomie signifie dès lors non seulement respecter la volonté du patient, en cas de refus de traitement par exemple, mais également comprendre les raisons de ce refus, telles qu’elles sont exprimées et justifiées par ce dernier, ainsi que les valeurs sur lesquelles sa décision est fondée et assumée. 

Éléments bibliographiques

Beauchamp T., Childress, J. Principles of biomedic ethicsOxford University Press,2004.                         
Malherbe, J-F.,               L’incertitude en éthique, Montréal, Fides, 1996. 
 
Miller B.                          Autonomy and the refusal of lifesaving treatment,
                                          Hastings  Center Report, 1981;11:22-8. 

Ackerman T.F.,           Why doctors should intervene, Hastings Center Report, 
                                      1982; 12:14-7. 
 
Callahan D.,               Autonomy : A moral good, not a moral obsession
                                      Hastings Center Report, 1984;14:40-2.


 
 
 
 
  

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