3 juin 2012

Les conditions de l'accueil

Ces temps-ci, il n'est pas anodin de se rappeler ce que signifie accueillir l'autre dans ses différences qui à un moment ou à un autre nous gênent. Rappelons-nous ici de l'univers pataphysique d'un Alfred Jarry (1873-1907). Le héros de cet univers qui est le fruit de la science des solutions magiques est le père Ubu pour qui l'important est de fabriquer et d'étudier "les lois qui régissent les exceptions", et de mettre tout en oeuvre pour assurer le règne inconditionnel des fantasmes individuels. Quand nous entendons parler d'accueil on est placé devant l'exigence de l'acceptation inconditionnelle de l'autre en ses divers traits et d'apprécier non seulement ses valeurs mais aussi ses différences culturelles. Devant subir l'effet du regard étranger, on se trouve au bout du compte devant une question : qui sommes-nous? La jouissance paisible de son propre mode de vie, d'un déjà su et d'un déjà vécu et pas autrement, est un élément charnières autour duquel s'élaborent les fragiles construction de l'identité. Fragilité car notre appartenance est loin d'être aveugle : elle peine à se réfléchir, comme d'ailleurs tout ce qui permet de la regarder. Si l'oeil peut tout voir c'est parce qu'il ne se voit pas directement , mais seulement par réfraction dans le miroir et qu'il ne peut aussi ne pas voir instantanément ce qu'il croit poindre à l'horizon de son regard.
Certains parmi les esprits prétendument éclairés accusent à la volée de "peureux" quiconque oserait se laisser tourmenter par la question de l'identité, et ils banalisent cette question. Le rêve sécurisant de la souriante rencontre d'autres êtres humains qu'on s'imagine comme nous, vient se brise sur le roc de la vie de tous les jours engoncée dans les différences qui la font. Une sorte d'attachement épidermique à un presque rien décisif souvent moralisé en dignité (d'un peuple) ou en fierté (nationale) cache mal une idolâtrie de l'instant qui considère ce qui dure avec mépris. L'identité est une question qui nous étrangle et qui, devant nos yeux, se transforme en bourbier incompréhensible dont on cherche à sortir en évacuant si possible le rapport à la culture sous prétexte que ce rapport serait trop lesté de religion pour faire l'affaire.
Devant pareil état de choses, ce qui importe, ce n'est pas d'expliquer - et de s'excuser; c'est de situer. Sommes-nous en présence d'une querelle qui n'est pas faite pour être comprise, et partant dépassée, mais plutôt de ce qui échappe à la parole, au sens de ce qui est mis de côté et qui néanmoins, relève du débat?
Le rêve d'une société embrassant toutes les cultures dans une souriante apesanteur vient se briser sur le roc de tous les jours. Nous vivons à l'âge de l'alibi qui nous fait croire que la faute doit toujours être  reportée sur autrui, que les êtres humains naissent non seulement perfectibles, mais semblables et que par conséquent, toute différence désagréable doit être attribuée à un environnement désagréable. Ce qui permet à certains de faire l'apologie vertueuse de leur propre conduite, et aux autres qui n'en font pas partie, de vivre dans la culpabilisation et la confusion. Le double impératif de l’accueil et du respect est un préalable à la double tâche de la détermination de soi et de son lieu de vie. Seuls des égaux supportent d'être différents.
          L'acceptation fait fond sur le fait paradoxal que seul est perdu ce qui n'est pas offert. L'accueil est impossible entre un donateur coupable et un débiteur ingrat. Le deuil le plus cruel n'est pas causé par la perte d'un passé, mais par la conscience de l'avenir trahi.

M.G.L.

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