5 juillet 2012

Biographie intellectuelle du professeur Bertrand Rioux

Parce que l’être n’a jamais été assumé par la réflexion philosophique
comme l’origine du temps et de l’histoire du monde dans cet entre-deux
de l’être et de l’étant, la vérité de l’être n’a jamais fait l’objet d’une
réflexion thématique.
                                                                                       Bertrand Rioux (1)

Bertrand Rioux est né le 8 mars 1929. Originaire d’Amqui au centre de la vallée de la Matapédia au Québec, il est petit-fils d’agriculteurs et fils d’un marchand général rassembleur. Il commence ses études classiques au séminaire de Rimouski; après le collège, il choisit de s’orienter vers la philosophie et commence son cursus philosophique à l’Université de Montréal, au semestre d’automne 1951. Il y demeurera jusqu’à l’obtention de sa Licence, en 1953. C’est durant ces années qu’il découvrira l’humanisme d’un philosophe qui devait avoir une influence durable sur sa pensée, le célèbre philosophe de l’être Jacques Maritain (1882-1973).

Après le baccalauréat, durant lequel les questions d’humanisme, de métaphysique et de phénoménologie retiennent singulièrement son attention, il décide de consacrer sa thèse à la pensée politique de Maritain. C’est à cette époque qu’il fit la connaissance d’un professeur qui eut une influence cardinale sur le jeune étudiant, le père Louis-B. Geiger. Durant la même année, les portes de l’École normale Jacques-Cartier s’ouvrent au jeune licencié en philosophie, qui s’inscrit au carrefour des traditions phénoménologique et scolastique. De 1953 à 1957, il y enseignera tous les traités de philosophie – de la logique à l’épistémologie en passant par la métaphysique, jusqu’à la morale et au politique.

En 1957, il transite vers Paris où il entreprendra une thèse de doctorat tout à fait originale, sous la direction de ce grand spécialiste de Kierkegaard que fut le professeur Jean Wahl (1888-1974). Le thème choisi émerge depuis la lecture de Vom Wesen der Wahrheit (1930) (2), de Martin Heidegger. Un «tournant » étonnant advient alors pour le jeune philosophe, se transformant à l’instant même en préoccupation décisive pour lui touchant la question fondamentale de la vérité ou « du sens de l’être » en philosophie. Cette question se radicalise jusque dans son essence fondamentale comme vérité de l’Essence (3). Il déploiera sa réflexion dans une « entreprise pleine de périls » mais "qui méritait d’être tenté" aux dires de Paul Ricoeur, avec la comparaison des doctrines de deux penseurs essentiels de la tradition philosophique occidentale : un penseur contemporain, Martin Heidegger et le grand docteur médiéval, Thomas d’Aquin.

1 L’être et la vérité chez Heidegger et saint Thomas d’Aquin, Montréal-Paris, PUM-PUF, 1963, p. 6.
2 De l’essence de la vérité, traduction française, Paris, Gallimard 1959.
3 Vom Wesen der Wahrheit, p. 23, trad, p. 100.

Partant de Heidegger, il démontrera audacieusement la primauté de la pensée de la vérité de l’être telle que conceptualisée par Thomas d’Aquin. Ce qui permettra à Rioux de mettre en lumière, chez le penseur de la Forêt noire, le passage de la vérité du Dasein comme rapport de l’étant en totalité à la méditation de l’oubli de l’être; cet oubli déjà inséparable de la vérité de l’être faisant apparaître, de ce fait, « une ontologie de la vérité qui repose sur le dévoilement de tout être (ens) dans l’être (ipsum esse) ».

De passage à Montréal en novembre 1959, avant sa soutenance doctorale à l’Université de Paris, il rencontre le professeur Louis-Marie Régis, alors doyen de la faculté de Philosophie. Ce dernier lui fait une « promesse d’engagement », qui devait se concrétiser après une soutenance de thèse remarquable (qui lui valu une mention et les félicitation du jury composé de Jean Wahl, Paul Ricoeur et Maurice de Gandillac), à la Sorbonne, au début de l’été 1960. Le jeune philosophe s’y distingua par son audace, sa rigueur et son originalité. C’était là un prélude exceptionnel à l’enseignement de la philosophie de l’être et des philosophies de l’existence, au point d’en faire un acteur déterminant, l’initiateur de l’enseignement de la philosophie allemande et de la phénoménologie à l’Université de Montréal, au début des années soixante. Dans ses écrits et dans l’esprit de ses étudiants et de ceux qui l’ont côtoyé, Bertrand Rioux laisse derrière lui les traces indélébiles d’un esprit vraiment supérieur.

Martin G. Laramée M.A. (Th); M.A. (Ph)




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