18 juillet 2022

Ernesto Grassi in memoriam (1902-1991)


Ernesto Grassi a été l'une des figures les plus importantes de la philosophie européenne. Peu connu en France, où deux seulement de ses ouvrages, Humanisme et marxisme et La Métaphore inouïe, ont été traduits, il jouissait d'un grand prestige en Italie, sa patrie, et surtout en Allemagne, où il passa la plus grande partie de son existence. Son œuvre est d'ailleurs, pour l'essentiel, écrite en allemand.

Né à Milan, en 1902, Grassi étudia la philosophie dans sa ville natale, puis à Aix-en-Provence, 

avec Maurice Blondel. Une rencontre avec Husserl, à Fribourg-en-Brisgau, en 1924, 

eut une influence déterminante sur sa carrière et son destin philosophique, en achevant 

de le libérer de l'influence écrasante que le néo-hégélianisme de Croce et de Gentile exerçait 

à cette époque sur la philosophie italienne. À Marbourg, il suivit l'enseignement de Heidegger, 

qu'il accompagna en 1929 à Fribourg-en-Brisgau, et auprès de qui il resta près de dix ans en 

qualité de lecteur, puis d'assistant, et enfin de « professeur honoraire ». La pensée de 

Heidegger le marqua profondément, même s'il prit assez tôt ses distances avec son maître

 pour des raisons tout à la fois humaines, politiques et philosophiques. En 1938, il fonda à 

Berlin, avec Romano Guardini, l'institut Studia Humanitatis, consacré à la défense de 

l'humanisme latin et italien, et qui prit, dans le contexte de l'époque, la signification d'une 

résistance à l'idéologie germanique. Pendant la guerre, il se réfugia en Suisse, où il enseigna à

 l'université de Zurich. Ensuite, pendant vingt-sept ans, il fut titulaire de la chaire d'histoire et de

 philosophie de l'humanisme à l'université de Munich, tout en ayant d'importantes responsabilités

 dans le domaine de l'édition (il dirigea chez Fink l'Humanistische Bibliothek, et chez Rowohlt

 la Rowohltsdeutsche Enzyklopädie et les Rowohlt Klassiker). Jusqu'à l'extrême fin de sa vie, il 

eut une activité intellectuelle intense, publiant à un âge avancé certains de ses textes majeurs.

Son œuvre, livres, articles, préfaces, conférences, est très abondante, et on se contentera de 

citer quelques-uns des titres les plus significatifs : Macht des Bildes. Ohnmacht der rationalen 

Sprache. Zur Rettung des Rhetorischen (Puissance de l'image. Impuissance du discours 

rationnel. Pour sauver la rhétorique), 1re éd. 1970, 2e éd. 1979 ; Humanismus und Marxismus

 (Humanisme et marxisme), 1973 ; 


Die Macht der Phantasie. Zur Geschichte abendländischen Denkens (La Puissance de l'imagination. Pour une histoire de la pensée occidentale), 1979 ; Rhetoric as Philosophy. The Humanist Tradition (La rhétorique comme philosophie. La tradition humaniste), 1981 ; Heidegger and the Question of Renaissance Humanism (Heidegger et la question de l'humanisme de la Renaissance), 1983 ; Einführung in philosophische Probleme des Humanismus (Introduction au problème philosophique de l'humanisme), 1986 ; La Metafora inaudita (La Métaphore inouïe), 1990. Cette œuvre se déploie sur deux plans, qui peuvent, à un regard superficiel, paraître distincts. Il y a les travaux de Grassi philologue, spécialiste de l'histoire de l'humanisme italien de la Renaissance, à qui l'on doit des éditions savantes, traductions, introductions, consacrées entre autres à Salutati, Bruni, Pontano, Guichardin, Bruno, et Vico (considéré par lui comme le dernier et le plus grand représentant de la tradition de l'humanisme rhétorique dont le père est Cicéron). Et il y a les textes de Grassi philosophe, où il traite de la puissance de l'image et de l'imagination, et de l'opposition entre le langage logico-rationnel, qui est le présupposé de l'onto-théologie occidentale, et la parole poétique, métaphorique et pathétique, proche de l'être, de l'« abyssal ». Mais ces deux aspects de la pensée de Grassi ne font qu'un, et l'essentiel de son effort consiste à montrer, à partir de Heidegger, que l'humanisme latin échappe à la « clôture métaphysique ».

https://www.universalis.fr/encyclopedie/ernesto-grassi/

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