18 septembre 2012

C.R. Raimon Panikkar, Pèlerinage au Kailash: Retour à la source

M. Carrara et R. Panikkar, Pèlerinage au Kailash: Retour à la source, Paris, Cerf, 2011.

En 1994, Raimon Panikkar et Milena Carrara partent pour la montagne sacré du Kailash (Tibet) où tant de maîtres pérégrinèrent. Ils en rapportent ce simple journal de leurs impressions conjuguées à deux voix. Mais qu'est-ce qu'ils y relatent ? Un double pèlerinage, qui va du dedans au dehors et donc de l'intérieur et l'extérieur et à soi-même en retour. L'enjeu : vivre, à chaque pas, "exister". Ce transit vers la montagne sacrée devient un parcours initiatique d'ouverture du troisième œil et du cœur à la réalité cosmothéandrique. Au long de ce pèlerinage se noue une profonde relation entre une femme et un homme, entre une disciple et son Maître; cela conduit Milena à s'abandonner avec confiance au Mystère du pluralisme de la Réalité ultime. Cette marche harassante  physiquement remet en question leur vision de la terre, du cosmos, car ce lieu sacré n’est pas une montagne à conquérir mais une montagne qui accueille et adopte le pèlerin - telle Arunachala le fut en Inde pour un Henri Le Saux.

 Durant ce pèlerinage, ils vivent une profonde remise en questions. Ils découvrirons à nouveaux frais que le sens de la vie ne s’épuise pas avec l’histoire personnelle de chacun. Chaque pas fait vers le sommet permet d’éprouver que l’homme participe à l’aventure cosmique de l’univers entier, aventure où Dieu est pleinement partie prenante, la création étant le premier acte de l’aventure de Dieu avec le cosmos. L’homme est "cosmothéandrique" dans son être-au-monde ainsi que le disait si bien Raimon Panikkar.

Pour vivre en union avec la "déité" - pour reprendre un terme de Meister Eckhart -, il faut peut-être questionner dans cette direction : « Qu’est-ce qui rend le plus civilisé : le confort, la connaissance scientifique et la technologie, ou l’amitié vraie et profonde qui unit les hommes entre eux, avec la nature et avec le divin ? » (p.49) Aimer mais aussi être en communion avec le cosmos et s’accepter soi-même, différent des autres. Faire de son corps un monastère - en repoussant ses mur aux limites de la terre est la condition sine qua non pour comprendre que le nouveau temple, c'est le cosmos.

 « Je suis convaincu que le meilleur service pour notre temps englué dans une civilisation technocratique monoculturelle consiste à lutter pour le pluralisme, non pas tant comme synonyme de tolérance que comme reconnaissance d’autres visions de la réalité. » (p.64) Panikkar  prend comme exemple la vision qu’ont de l’homme l’Occident et l’Orient : «  Depuis le 16ème siècle, pour l’Occident, l’individu est considéré comme porteur de conscience, pour l’Orient, depuis toujours, c’est la conscience elle-même qui transite à travers l’être humain… » (p.74) Aussi, le maître conseille de regarder la vie avec son troisième œil (l’œil intérieur de l'amour), ce qui permet de voir l’esprit dans la matière. Cette vision intègre la vision du premier œil, celui du sens et du deuxième, celui de l’intellect qui seul peut voir Dieu dans son vestiaire.  (Meister Eckhart)

La rencontre avec le Christ fut pour Raimon Panikkar une rencontre personnelle. Il l’exprime en se nourrissant de ces paroles de Jésus : « Soyez moi-même, nourrissez-vous de moi, restez en moi… » (p.78) Fidèle a sa vision cosmothéandrique , pour lui tout homme est uni au cosmos et au divin, il a du Christ cette image universelle : « Je fis l’expérience d’un Christ non limité aux chrétiens et, moins encore, aux catholiques. » (p. 167) L'Un manifesté dans le multiple, le Purusha archétypal, l'éveillé au mystère de chaque conscience qui s'éveille.

A la fin de ce récit à deux voix, Panikkar explicite les fondements de sa vie spirituelle : Les piliers sur lesquels s’appuie sa spiritualité est d’abord l’expérience de l’infini et de la liberté : « Un acte qui n’est pas libre n’est pas un acte qui relie. » (p. 174). Puis celui de la conscience : « Sois conscient ! Connais ! Sois attentif ! Réveille-toi ! Réalise ! Deviens illuminé ! » (p. 178) Enfin, découvrir que l’on est matière, poussière qui retournera à la poussière : « Je n’ai pas seulement un corps, je suis corps L’esprit est la force intérieure ou l’énergie qui donne vie à toute chose et non l’opposé de la matière. » (p.182) 

Le sage de Tavertet pense qu’il est plus facile de sauver l’âme que de conduire l’homme entier à sa plénitude. « Je suis convaincu qu’une spiritualité incarnée est une nécessité impérieuse de notre temps. »

En août 2010, revenu dans sa Catalogne natale, Raimon Panikkar meurt. Milena est à ses côtés. Ainsi s'achève cette aventure d'histoire par le retour à la Source : Milena disperse les cendres de Raimon dans le Gange, là où, quelques années plus tôt, elle fut plongée par lui pour recevoir le baptême de la renaissance.

M.G.L. 

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