I- Étymologie et évolution historique du
concept
Le mot synchronicité est formé
sur deux termes grecs. « syn », veut dire ensemble, c’est le même préfixe que
l’on trouve dans sym-pathie, l’idée implicite est que cela se tient ensemble.
La sympathie indique que le pathos de l’autre est en fait non-séparable du
mien, je peux éprouver ce qu’un autre éprouve, sentir la tristesse qui est dans
son âme ou le pétillement de joie qui l’accompagne. « chroni » renvoie à
Chronos, le Temps. Ce qui donne donc : « qui se produit en même temps », avec cette
implication précise selon laquelle, le processus de manifestation est unifié
dans sa signification, car les événements ne sont pas séparés parce
qu’intrinsèquement liés, ils adviennent comme un « kaïros », un moment
approprié.
Le concept de synchronicité s’inscrit en opposition avec une
représentation fragmentaire de la réalité. La synchronicité représente de toute
évidence l'un des nœuds théoriques principaux de la pensée et de l'œuvre de
Carl Gustav Jung. Alors que celui-ci en découvre très tôt la présence et les
manifestations (il en parle dès 1930), en déclarant à propos du Yi Ching que ce
dernier « repose en effet, non sur le principe de causalité, mais sur un
principe non dénommé jusqu'ici - parce qu'il ne se présente que chez nous - auquel
l’on peut donné, à titre provisoire, le nom de principe de synchronicité », il
ne se décide cependant à publier à son sujet de manière systématique et réglée
que très tard dans sa vie, à la fin des années quarante et au début des années
cinquante.
Encore ne s'agit-il pas pour Jung de
fournir une explication définitive à un domaine qu'il qualifie d' « obscur » et
de « problématique », mais d'y ouvrir un accès dont il a la conscience aiguë de
combien il se heurte à nombre de préjugés (de nature à la fois intellectuelle,
idéologique et subjective) dans la société occidentale contemporaine. S'il se
résout à cet effort, c'est par un double souci d'élucidation scientifique et
philosophique, ainsi que devant l'importance humaine du phénomène, et l'exigence
intérieure du souci thérapeutique, c’est-à-dire du « souci de l’âme » qui
retint toujours son attention.
En 1952, Jung a publié un article qui par la suite deviendra un livre
intitulé Synchronicité et Paracelsica. Jung propose de nommer synchronicité une
relation entre deux événements qui ne relève pas d’une association causale,
mais d’une association par le sens. Il existe certes déjà le mot coïncidence,
mais ce dernier évoque un aspect fortuit qui ne se trouve pas dans le concept de
synchronicité. On peut donc parler d'une coïncidence objective. Par exemple,
vous vous posez une question et voilà qu'une réponse vous est donnée par
l'entremise du discours d'un proche, par une représentation picturale, par
quelque ligne d'un livre ouvert « au hasard », etc... Carl Gustav Jung
illustrait ce concept par le très célèbre exemple du scarabée d'or : alors
qu'une de ses patientes en analyse lui racontait un de ses rêves et prononçait
le mot scarabée d'or, un scarabée d'or s'écrasait sur la vitre de son cabinet,
les troublant tous deux. Cette « coïncidence fortuite » allait permettre de
relancer la thérapie stagnante de sa patiente...
Entre les deux parties de Synchronicité et Paracelsica consacrées à la
synchronicité, s’intercale trois textes composés par Jung sur Paracelse
(1493-1541), ce médecin et alchimiste du
XVIe siècle. C'est que la vision alchimique du monde et du destin de
l'homme comme de la doctrine des arcanes
reposent sur la théorie des signatures et des correspondances, qui représente
la conception même de « la synchronicité avant la synchronicité ». Il ne
s'agissait pas seulement par là de faire ressortir l'unité de pensée et la
cohérence que sous-tendent toute l'œuvre de Jung dans ses multiples intérêts
pour le taoïsme ou l'alchimie par exemple, mais aussi de mettre en lumière
l’arrière-plan psychique comme condition de la conception de la synchronicité,
tout en illustrant la loi de contamination des archétypes qui préside au
travail de la réalité psychique objective.
II- Explication de la synchronicité
Comment expliquer de telles synchronicités ? Selon Jung, il existerait
un « inconscient collectif » situé dans
une autre dimension hors de l'espace-temps, à la fois mémoire de l'humanité et
âme de l'univers, sorte de supraconscience cosmique à laquelle nous serions
reliés par notre inconscient personnel. Dans cet inconscient collectif se
constitueraient des «centres d'énergie psychique potentielle» appelés
archétypes. Ceux-ci sont neutres et ne deviennent bons ou mauvais qu'en contact
de la conscience de l'individu.
Les coïncidences signifiantes ou les
conditions de manifestation de la synchronicité ?
Il nous arrive parfois de percevoir une coïncidence présentant un
caractère mystérieux, nous laissant un sentiment troublant et indéfinissable.
Il s'agit d'une sorte de « clin d'œil » du destin que Jung a nommé
synchronicité. On dit alors que la coïncidence est chargée de sens, qu'elle est
signifiante. Celle-ci se caractérise également par le fait que le psychisme du
sujet est plus impliqué que dans le cas d'une simple coïncidence, et, qu'en
outre, la probabilité de sa survenue est plus faible. Nous nous sentons alors
prendre une certaine importance dans l'immense univers habituellement indifférent
à notre modeste subjectivité.
La synchronicité se rapprocherait donc de cette coïncidence temporelle
sans lien causal entre un état psychique donné et un ou plusieurs événements
extérieurs objectifs offrant un parallélisme de sens avec cet état subjectif du
moment « kaïros » (ce moment approprié), l'inverse pouvant aussi se produire.
Certaines circonstances sont propices à l'émergence de synchronicités,
par exemple : les états mystiques, ou modifiés de conscience, les liens affectifs
et empathiques très étroits, les situations dramatiques, les maladies graves,
les difficultés sociales et familiales, les troubles psychiques, la recherche
spirituelle, les créations artistiques, les découvertes scientifiques, les
présages d'événements heureux ou malheureux, une aide ou protection
archétypale...
III- Une hypothèse aux conséquences
importantes
Si l’on comprend le concept de synchronicité comme une sorte de «
kaïros» signifiant et créateur, il peut avoir des conséquences sur notre vision
de l'homme et de son environnement, le fait d' « être-dans-le-monde ». A ce
moment, les êtres, les choses et les événements se trouvent reliés de façon
acausale et sous-jacente entre eux par le sens et la ressemblance (au lieu de
cause à effet), et avec la totalité de l'univers. La plupart, sinon l'ensemble
des expériences mystiques, qui seraient en fait des synchronicités, pourraient
être expliqués. Pas de transmission d'information ou d'énergie physique, « mais
l’efflorescence, ou la corrélation, l’identité ou l’unité instantanée et
fugitive entre les êtres et/ou les choses ». Une nouvelle approche du mystère
de la vie et de la mort deviendrait possible. Même la non-séparabilité des
particules en physique quantique serait une forme de synchronicité.
Enfin, la synchronicité nous donnerait accès à une réalité intemporelle
et spirituelle dépassant les contingences existentielles, psychiques et
biologiques en lesquelles nous sommes là comme « êtres-jetés ». Elle
transcenderait le monde des formes et phénomènes qui nous maintiennent dans la
causalité. Comme une sorte de « flash », elle éclairerait l'unité cachée entre
nous-mêmes et les autres, les choses et ce que j’appellerais l’excédent, un peu
comme les « expériences de mort imminente ».