3 avril 2011

La médiation de l’autre : un antidote à la peur de l'étranger

      
A Pierre-Jean Labarrière
En signe d’amitié et de respect

Résumé
Dans cette méditation, je vais montrer quelle est la relation entre l’altérité et l’irrémédiable reconnaissance de l’immédiateté de toute médiation. Car il est d’une évidence certaine que la question de l’altérité de l’étranger pose un problème de sens à la relation : au sens fort de cette expression, il faut dire qu’elle ne va pas de soi, et jamais l’homme ne peut se reconnaître dans une réaction qui serait simplement donnée, sans que sa liberté — source en lui de l’authentique unité de toutes ses facultés — ne soit engagée de façon très précise et très concrète en son mouvement de réalisation. On distingue communément le registre de l’évidence et la quête des arguments qui, par analyses, synthèses et autres figures du discours à la charge de l’entendement, balisent le chemin d’une raison en recherche d’adhésion à ce qu’elle tiendra pour vrai. Médiation et altérité, ce sont là deux moments dont le traitement montrera qu’ils se résolvent dans le périple réflexif d’une présupposition mutuelle  — s’il est vrai qu’il n’est point d’altérité qui ne soit dès toujours médiatisée, pas plus qu’on ne saurait penser une médiation infinie.
I
L’altérité de relation
Différence, opposition, conflit, c’est hélas trop souvent dans cette suite, pour ainsi dire fatale, qu’on se résigne à placer les différences. Les différences font nécessairement partie de la vie, les reconnaître pour ce qu’elles sont, c’est refuser de les transformer en oppositions pouvant dégénérer en conflit à la première occasion. Mais la question se pose : « pourquoi refuser de faire des différences qui nous affectent des oppositions ? »
La principale réponse à cette question consiste en ceci : parce que les différences sont constitutives de ce que nous sommes et de ce que nous sommes appeler à devenir. Ne pas reconnaître les différences ou en faire des oppositions, c’est refuser cette part d’altérité qui fait partie de notre être même, qui nous ouvre à ce qui n’est pas nous. Les différences loin de séparer, loin d’isoler fondent plutôt et permettent de devenir ce que nous sommes.
Les stratégies d’altérité, qu'elles viennent de la religion ou de la philosophie mettent en cause bien des aspects de la vie. Le rapport à l’autre est à ce point constant et central qu’il se coule dans notre attitude de base devant la vie. C’est pourquoi, il est difficile de passer du plan des événements qui est aussi le plan des comportements à celui de la réflexion quand il s’agit du rapport à l’autre et des différences qui rendent possible un tel rapport. Ces différences sont à leurs tour bien différentes du monologue ou de la guerre qui font que les différences disparaissent sous la forme de conflits ou d’une absence de conflits dans laquelle le devenir est comme mis en veilleuse, différé, retardé, remis ailleurs et a plus tard pour d’autres temps ou d’autres occasions. Comme si il était possible de prendre congé de ce qui nous fait, de ce que nous sommes et qui nous distinguent des autres et les autres de nous.
Il n’est pas facile par les temps qui courent d’envisager l’altérité ; ces derniers mois l’actualité nous a fourni ample matière à remise en question sur l’importance du rapport à l’autre, aux autres que ce soi au plan culturel, social ou politique. Il semble que ces derniers temps l’altérité est plus malmenée que dans la sereine réflexion de certains philosophes académiciens. Les stratégies d’altérités que nous adoptons posent la question délicate : « comment se comporter envers ceux et celles qui n’appartiennent pas à la même communauté ou à la même culture que nous ? Et qui pourtant vivent dans la même société sur la même planète pour tant soit peu qu’elle soit devenue un village global. Les termes de cette question paraissent tout à fait clairs. Il semblent naturels et comme aller de soi. De fait, il s’agit d’une question qui renvoie à une distinction bien réelle, entre ceux et celles qui appartiennent à mon groupe et ceux qui n’en font pas partie. De cette distinction réelle on peut tirer des conséquences diverses. Nous ne sommes pas pourtant supérieurs aux autres ni les autres supérieurs à nous, meilleurs que nous. Parfois on peut avoir l’impression fondée en apparence que ce sont les autres qui prétextent de la distinction d’avec nous pour justifier ce qui nous apparaît comme une forme de refus. Mais cette attitude ne nous est pas interdite non plus bien qu’elle risque de ne pas mener bien loin dans un cas comme dans l’autre. Les différences peuvent donc fournir des occasions, elles peuvent servir de prétexte à l’indifférence et à l’ignorance réciproque, loin de s’annuler les solitudes s’additionnent alors, sans que personne s’en aperçoivent jusqu’au moment où les conflits éclatent provoqués souvent pour des raisons qui ne sont rien d’autres que des prétextes. Évidemment quand les choses en viennent là, il est bien difficile de se convaincre que le rapport aux autres ou à l’altérité qu’il implique n’est pas simplement la conséquence d’une situation particulière. Dans la mesure où l’on est en relation avec des personnes de d’autres cultures, de d’autres groupes religieux que les nôtres.
            L’altérité n’est pas plus une conséquence d’une réflexion dite philosophique sur notre situation qualifiée de pluraliste ou de périlleuse. L’altérité me semble-t-il, c’est plus et autre chose que tout cela. L’altérité est à la racine même de l’humain et de nous-mêmes comme être humain. L’altérité qui est nôtre et qui nous façonne. C’est en fait, ce qui fonde le rapport aux autres. Vue ainsi l’altérité renvoie donc à autrui, au fait qu’il y a des autres différents de nous. Mais l’altérité nous renvoie aussi à nous-mêmes, à cette part d’inconnu qui nous est tout aussi propre que la part connue et qui permet même à celle-ci d’évoluer, de changer bref de s’altérer. L’altérité c’est aussi l’altération, la possibilité de changement, d’évolution, de transformation de toute cette part d’inconnu qui nous habite et que nous sommes, qui nous fait être nous-mêmes et autre à la fois. Et nous donne l’occasion, l’opportunité, l’exigence intérieure d’affronter ce qui nous fait toujours peur : le changement, la nouveauté, l’étranger. Ne serait-ce pas cette part  d’inconnu qui est en nous, qui est nous-mêmes que nous craignons d’autant plus que l’étranger qui nous renvoie et nous rappelle d’une façon parfois obligée que l’on appelle le paradoxe constitutif de nous-mêmes. Cette dualité parfois tragique qui fait que refuser l’autre, c’est renoncer à une part de nous-mêmes, celle-là même qui nous ouvre à une histoire particulière, celle-là même qui nous inscrit dans un temps unique qui nous permet de devenir ce que nous sommes.
L’altérité, le rapport à autrui n’est donc pas seulement de l’ordre du comportement, ne concerne pas seulement les attitudes. L’altérité fait partie de l’activité même de l’esprit humain, caractérise sa démarche, guide la conduite du raisonnement.
Ce n’est pas facile de faire de l’altérité une sorte de régulateur du comportement, des attitudes et de l’activité même de l’esprit. C’est que son contenu ne peut être fixé d’avance une fois pour toutes. L’altérité est et demeure sujette à une révision constante et donc à une attention de tous les instants. On pourrait rappeler ici le fragment 89 du penseur grec Héraclite d’Éphèse qui vécu du VIe et Ve siècles avant notre ère. Le fragment dit : « Les éveillés ont un seul monde en commun, chaque dormeur, au contraire, se tourne vers son propre monde[1] ».
La « xénophobie », est donc cette vision de l’autre biaisée, propre à une certaine phobie contemporaine. Dans cette perspective, l’incommunicabilité des êtres fait figure de modalité de déploiement de cette distance vertigineuse qui s’insinue sournoisement entre soi-même et l’autre.
Dans le temps qui vient, restera-t-il de la fraternité, le respect de l’intégrité humaine ? Si le sujet déchiré par la gravité du temps de détresse intérieure autant qu’extérieure à son existence, ne parvient pas à sursumer l’opposition qui le pose en relation de reconnaissance et d’acceptation, de ce qui de l’autre m’indispose et crée un certain malaise — qui ne va pas sans renvoyer d’une manière singulière à soi-même. J’ai bien peur que la répétition des récents conflits en Irak, ne soit que l’illustration de « l’éternel retour du même » refus de l’altérité médiatisée par un xénophobie d’un inquiétant degré. Jusqu’à ce que l’homme annihile définitivement l’autre homme, i.e. celui qui me permet de dire Je et de nommer mon interlocuteur dans le dialogue. Ce Tu qui dans son altérité me rappelle que l’interdépendance me convoque à la solidarité humaine, je ne peut vivre sans l’autre mais je peut être en chemin avec lui, en aventure d’histoire.

II

L’altérité et le temps : modalités de la médiation

Dans le processus de reconnaissance de l’étranger, il n’y a pas d’un côté le rapport à autrui et de l’autre le rapport au temps, l’un et l’autre rapports ne font qu’un ou plutôt, mon rapport au temps se joue dans la médiation du rapport à autrui. Le rapport au temps est toujours rapport à autre chose que lui-même. Le temps est ce qui rend possible, la médiation de l’altérité, ce rapport à autre chose que lui, à l’étranger, à l’autre en tant qu’autre; que ce rapport change, se modifie, s’altère, bref qu’il ne se répète pas. Rien n’est plus contraire au temps que l’habitude et la routine qui, on le sait d’expérience, dégrade les rapports à l’altérité et réduisent l’autre à un même dont on n’attendait plus rien qu’une répétition.
            Usure des rapports, usure d’autrui, effritement de la philosophie, de l’art, de la poésie, de la rencontre du prochain selon les modalités de « l’habitation poétique » de l’existence, en porte-à-faux avec le « Zeitgeist », l’esprit du temps. Là où le temps semble s’exiler du rapport pour ne plus être rien sans lui, de même que le rapport à l’autre est réduit au même sans le temps et ce qu’il offre comme possibilités. S’ensuit, un résultat qui, à dire vrai, est bien pénible à admettre. Le temps du rapport à l’étranger n’est pas seulement la dimension négative de ce réel dont nous sommes, et que nous minerions dans la tentative de restructurer, de réinventer l’art de la rencontre. Il est aussi chance du neuf, conjuration de la répétition du même, de l’habitude. Il est la capacité d’ouverture à l’altérité de l’autre dans sa différence constitutive. Ce qui nous fait dire que l’altérité se cultive dans l’attention au temps et à ce qu’il recèle, « car l’attention est la prière naturelle de l’âme » disait Nicolas Malebranche. 
 Le mystère que nous sommes dans la nouveauté encore insoupçonnée de notre « être-avec », pour soi et pour l’autre est possibilité de faire du neuf avec l’ancien, de changer le rapport aux vivants en fondant notre agir sur un « principe responsabilité » qu’on ne peut occulter en pareil contexte de discernement. La médiation implicite à l’acte de reconnaissance médiatise le discernement jusqu’à sa conclusion d’effectuation dialogique.
            La catégorie « d’être-avec » correspond à ce que la relation soit synthèse constituante de la médiation du présent et du passé en vue de l’à-venir, dans cette synthèse que nous constituons effectivement, le passé lui aussi est transformé de présent vécu qu’il a été dans le passé, il devient dans cette synthèse passé vécu dans le présent et pour l’avenir. Ce dépassement qui advient dans un passé vécu dans le présent est, il faut en convenir, bien difficile à saisir et nous voyons assez mal comment il pourrait s’agir d’autre chose que d’une abstraction sans grand intérêt pour notre expérience quotidienne dans la « sphère»[2] poétique de la rencontre ainsi que le mentionne si justement un Peter Sloterdijk. Si c’est précisément dans cette synthèse que se pose pour le sujet la question qui le fait réfléchir à sa condition d’ « être-jeté-au-monde » face au visage de l’autre dont il devient à première vue irrémédiablement responsable.
                                                  
 III 

 La reconnaissance


 L’interprétation que l’on fait de la modernité comme « rupture instauratrice »[3] représentée par la civilisation technicienne et la crise de la culture, contraint l’homme à devenir une technique de l’humain et jusque dans sa propre rencontre de l’autre. La technique oblige le sujet contemporain à questionner ses fondements spirituels, son identité, sa manière d’habiter le monde. Car ce qui caractérise l’humain, c’est d’être en chemin. D’être tendu vers cette part de lui-même qui ouvre à la rencontre de l’étranger dans la pratique quotidienne comme dans le dialogue inhérent au statut dialogique du poème par exemple, comme l’a si habilement démontré ce grand poète que fut Paul Celan (1920-1970).  
La dimension centrale de notre réflexion indique vers une poétique de l’altérité qui se donne à connaître dans le mouvement de son effectuation. N’est-ce pas là, le propre de la conjugaison du réel avec l’autre comme problème philosophique mondial ? La possibilité de faire l’expérience de relations signifiantes au cœur desquelles brille la lumière de la coïncidence des opposés est en rupture avec à l’insignifiance et le manque de jugement de certains dirigeants mondiaux. En terme de politique de reconnaissance et de droits humains, de justice rétributive, ils ont encore beaucoup à faire pour reconnaître, hors d’une médiation économique, l’autonomie et la liberté d’agir des États et des Nations dans leurs différences.
Cela nous fait comprendre que l’homme est aussi étranger à lui-même que lui sont étrangères les choses, les autres et leur manière d’être. Pour qu’il se reconnaisse autre à sa propre conscience, il lui faut s’aliéner à son propre égard, et ce processus d’aliénation est visible lorsque l’immédiat premier procède à sa médiation en produisant au jour ses propres différences, sa sortie de soi est le prélude à son retour à partir de cette accession à l’extériorité comme extériorité — « mouvement de rien à rien et par là à soi-même en retour » dirait un Hegel. Un tel procès comprend les moments structuralement conjoints d’une extériorisation et d’une intériorisation. Par contre, lorsque la sortie de soi se fourvoie dans l’élément d’une étrangèreté (Fremdheit) d’un extérieur faussement pris dans la fixité d’une opposition de type dualiste qui exclut le retour dans soi du terme originaire. Une telle opposition se retrouve dans la figure dialectique de Hegel, Maîtrise et servitude[4] qui, bien incrustée dans les institutions politiques généra une barbarie économique mondialisée.
Ce combat pour la reconnaissance doit appartenir et avoir son fondement dans la conscience de soi comme autre, c’est ce qui permet dans l’exercice du discours de montrer le moment ou la médiation est impliquée dans la mémoire choisie et les signifiants logiques convoqués.
L’interprétation du rapport entre médiation et altérité suppose et doit, à ce moment, traverser l’épreuve de la reconnaissance. L’on doit convenir que la médiation est une condition de possibilité de l’acte de reconnaissance de l’autre en aventure d’histoire. En se situant dans ce chemin, j’approche du lieu où s’entrevoit le rapport de la médiation au seuil de la reconnaissance de l’altérité de l’étranger. Problème ancien, mais toujours pertinent parce que les structures anthropologiques et politiques actuelles qui procèdent de ce re-questionnement sur la rencontre et la méfiance face à l’étranger, nous renvoie à l’effort de reconnaissance entre les individus et les groupes.
IV
           Le respect : condition de l’altérité de relation
A ce point-ci, il me semble pertinent de faire l’éloge et la critique d’une valeur d’universalité qui tend de plus en plus à disparaître dans l’exercice de la rencontre de l’étranger. Il s’agit du respect, valeur inclusive à tout chemin de réflexion et à toute relation à autrui. L’affirmation d’un certain droit au respect est un des lieux communs de la modernité. Cela indique vers le droit à la parole, la participation aux décisions, la détermination de liberté en tout ce qui regarde la « responsabilité » de qui veut répondre de soi et de sa vie, de son rapport à l’autre. Au dire du philosophe français Pierre-Jean Labarrière :
Ce n’est pas d’abord de théorie philosophique qu’il est question ici, mais, au niveau le plus primordial, d’une parole enracinée dans le sentiment, avant même la construction de tout langage ou l’élaboration de tout discours l’individu fait entendre cette voix qui réclame comme un dû cette nourriture élémentaire du respect .[5]
C’est, à tout le moins, une condition fondamentale au surgissement du vrai visage de l’autre. Savoir au moment approprié écouter sa propre conscience, c’est-à-dire porter respect et avoir confiance en sa propre capacité à juger de manière judiciaire[6] malgré l’incertitude régnante dans cet espace tout empreint de nihilisme propre à l’esprit du temps, tel est donc l’implication de cette notion du respect en pareille confrontation.
Respect encore et surtout de l’altérité constitutive à tout système de pensée, à toute politique sur des réalités d’événements aussi graves soient-ils. Ceci est une invitation à une forme première de silence et d’accueil qui est attention, disponibilité, refus de connaître choses ou personnes avant qu’ils n’aient surgi de leur contingence essentielle. « Bref, effort tout à fait décidé pour honorer en soi-même et en l’autre cette dimension de l’identité à soi qui implique qu’on prenne en compte la reconnaissance de l’autre comme autre (…)».[7]  
Ainsi l’on doit dire que le respect entre deux êtres, pour avoir sa pleine efficience humaine, doit être réalité commune, objet d’échange, signe de blessure qui fait que chacun n’est lui-même que par la médiation de l’autre – par accueil de sa propre universalité potentielle sous la forme d’une particularité que l’autre représente à ses yeux[8]. Le respect est donc une certaine manière d’assumer l’altérité en la comprenant sous le signe de l’unité plurielle qui s’affirme comme son fondement essentiel, bien que cela semble être pourtant une valeur en voie de disparition dans la société technicienne.
Si l’autonomie une et véritable répugne autant à la solitude qu’à la fusion. C’est de même qu’il importe de récuser la simple transparence sans épaisseur de termes qui se recouvrent l’un l’autre sans que chacun tienne son lieu propre. Cette autonomie s’inscrit également en faux, à l’autre extrême des choses, contre une extériorité d’origine et de sens qui serait comprise comme une fausse altérité. L’autonomie renvoie directement à la relation, rapport structurel à l’autre comme autre non pour l’enfermer dans sa différence, mais pour l’assurer dans sa singularité d’interlocuteur en le posant et le reconnaissant.
Ainsi vient à l’énonciation notre tentative : une assomption en trois secteurs de l’expérience l’un à l`autre articulés : remise de l’autre à soi, remise de soi à soi comme autre, remise et de soi et de l’autre à l’altérité radicale du fondement essentiel de notre commune origine. En comprenant qu’une telle « remise » est en réalité une « assomption » et de l’autre et de soi, autrement dit qu’elle engage ainsi qu’il vient d’être dit, vers une certaine manière de gérer la relation par quoi l’autre et moi-même sommes en vérité ce que l’on est dans le moment où survient à vif, la pensée d’une corrélation entre médiation et d’altérité.



En conclusion
            La question du déclin et de la perte du sens de l’existence tout comme la disparition du référent transcendantal ne garantît plus le sens de l’histoire et n’est plus de ce fait susceptible de donner des bases spirituelles à toute culture particulière. Le sens s’avère maintenant donné par la stricte transcendance du sujet. De là, la primauté d’une éthique qui ressemble à un avatar du nihilisme. Ce sens peut-il encore poser le sacrifice de la liberté ? Une liberté que le sujet tenterait de déployer en dépit du démon de l’histoire rencontré dans les aspects de la conscience nihiliste qui sont vécus comme malédiction.
 Si l’homme est un être de vérité et de tragédie, sa précarité le relie à l’autre de manière essentielle. Ceci nous permettrait de déduire de la médiation de l’altérité une rencontre, empreinte de grandeur et de clarté.
Pour conclure, je reprends à mon compte cette expérience d’altérité qu’est la rencontre inattendue de l’étranger au carrefour des chemins, tel qu’en témoigne l’épisode de la parabole « du bon samaritain » au chapitre X de l’évangile de Luc ; et au déplacement radical du lieu du prochain au verset 38 remarquable dans la question que pose Jésus :
« Qui s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? »  C’est-à-dire qui s’est fait proche de l’autre ? La question retourne au demandeur. Qui est le prochain ? A cela qu’une seule réponse logique, sinon soi-même comme cet autre que l’on ne connaissait pas en soi. C’est donc à soi d’être le prochain de l’autre, à se faire voisin de la culture de l’autre pour être au mieux voisin de sa propre culture.

Martin Laramée M.A.
Montréal, juillet 2003
Chaire d’éthique appliquée
Université de Sherbrooke




[1] Héraclite, Fragments, (trad. A. Jeannière), Paris, Aubier-Montaigne, (Coll., philosophie de l’esprit), 19853 ,  p. 117.
[2] Voir Peter Sloterdijk, Sphères, Microsphérologie. 1, Bulles, (trad. O.  Manonni), Paris, Pauvert, 2002.
[3] Voir sur ce concept fondamental pour le christianisme, Michel de Certeau, La Faiblesse de croire, Paris, Seuil, 1987, pp. 183-226.
[4] Voir G. Jarzcyk et P.-J. Labarrière, Les premiers combat de la reconnaissance, maîtrise et servitude dans la Phénoménologie .de l’Esprit de Hegel, texte et commentaire, Paris, Aubier-Montaigne, (Bibliothèque du Collège International de Philosophie), 1987.
[5] Labarrière, Le discours de l’altérité : une logique de l’expérience, (Coll., Philosophie d’aujourd’hui), Paris, PUF, 1983, p. 213.
[6] Ainsi que se plaisait à qualifier la troisième Critique de Kant, le philosophe allemand d’expression française, Éric Weil (1904-1977).
[7] Labarrière, Le discours de l’altérité, op. cit., p. 213.
[8] Ibid.

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